À contre courant / Science sans conscience…

Jean-Marie Harribey  • 1 novembre 2012
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Rabelais doit se retourner dans sa tombe car, ces jours derniers, les autorités chargées de dire ce qu’est la science, ce qui est démontré, ce qui est admissible et digne d’intérêt, ont frappé un grand coup, et cela dans plusieurs domaines. Dans celui de la biologie, à peine le biologiste Gilles-Éric Séralini avait-il publié dans la revue Food and Cheminal Toxicology son étude sur la toxicité du maïs génétiquement modifié NK603 et de l’herbicide Roundup, que toutes les sommités académiques lui sont tombées dessus. Pas moins de six académies scientifiques aux voix desquelles se sont ajoutées celles du Haut Conseil des biotechnologies et de l’Agence de sécurité sanitaire française. Sans compter les jugements également négatifs des autorités européennes, allemande, néerlandaise et danoise.

On lira la réaction salutaire de Christian Vélot, « OGM : Il a montré leur toxicité, il doit être exécuté (1) », qui décortique les attendus de ces jugements. Les rats, pas bons pour prouver la nocivité des OGM ? Mais bons pour prouver leur innocuité dans les études menées par les industriels et agréées par les autorités ! Deux cents rats testés répartis par lots de 10, ce n’est pas suffisant ? Mais par lots de 5 ou 6, oui ! Deux ans d’étude, pas convaincants ? Mais trois mois le sont ! Et trois jours pour que les autorités étudient tout le dossier, encore mieux ! Publication dans une revue à comité de lecture scientifique, pas fiable ? Mais les études de Monsanto aux données confidentielles conduisant à la mise sur le marché, crédibles ! Messieurs les « autoritaires », on a envie de vous crier : « Vendus ! » Mais à qui ?

Regardons du côté de l’économie : le comité de la Banque de Suède a décerné le prix faussement nommé « Nobel » à Alvin Roth et Lloyd Shapley pour leurs travaux sur la théorie des jeux appliquée à l’équilibre de l’offre et de la demande. Offre et demande de quoi ? De la tomate, des voitures ou des tablettes ? Non, trop facile. Offre et demande d’organes humains ou de sang, de chercheurs dans les universités, offre et demande en mariage et autres joyeusetés de la vie. Car l’homme, sans oublier la femme, est rationnel. Il jauge tout en calculateur de son intérêt et, surtout (d’où le recours à la théorie des jeux), il décide en fonction de la réaction de l’autre, lequel fait pareil, dans un jeu de miroirs infinis.

Et alors, n’est-ce pas du bon sens, l’intérêt ? Ces économistes font comme si la réalité était faite d’individus autonomes, dont une science expérimentale rendrait compte des réactions psychologiques ne relevant en aucune façon des structures de la société : toute décision humaine s’apparente à un échange sur un marché, lequel naît par la rencontre de ceux qui y viennent. On voit immédiatement la contradiction théorique et le biais de l’orientation politique. Contradiction : comment les individus peuvent-ils aller sur un marché qui n’existe pas puisqu’il résulte de leur venue ? Projet politique biaisé : puisque la société n’est composée que d’individus autonomes, il n’y a pas besoin de régulation publique. Le comité de la Banque de Suède ne récompense depuis trois décennies pratiquement que des économistes dont le boulot est de rendre savante l’idiotie proférée par Mme Thatcher : la société n’existe pas.

**jean-marie harribey** est Économiste atterré.
Économie
Temps de lecture : 3 minutes
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