L’accord ne vaut pas loi

Contre l’avis d’une partie de la gauche, le gouvernement veut transcrire « fidèlement » le texte signé par les partenaires sociaux dans la loi. Une bataille politique s’engage.

Michel Soudais  • 17 janvier 2013 abonné·es

Sitôt conclu, l’accord patronat-syndicats sur l’emploi a suscité une avalanche de déclarations et de communiqués louangeurs en provenance du gouvernement et du PS. Autant pour en approuver le contenu que pour en vanter la méthode. À les croire, cet accord concrétiserait « trois engagements majeurs » de François Hollande : lutter contre la précarité (n° 24), sécuriser les parcours professionnels en concertation avec les partenaires sociaux (n° 35), et permettre la présence de représentants des salariés dans les conseils d’administration des grandes entreprises (n° 55). Le chef de l’État, quant à lui, a salué « un succès du dialogue social », qu’il s’est engagé à inscrire dans la Constitution. « Prouver que la France est capable de mettre en place une démocratie sociale moderne » était, selon Michel Sapin, ministre du Travail, l’enjeu majeur de cette négociation.

Pour le gouvernement, il s’agit moins de convaincre la droite – Jean-Louis Borloo appelle à une transcription rapide dans la loi, et Raymond Soubie, l’ex-conseiller social de Nicolas Sarkozy, ne tarit pas d’éloges sur ce « bon accord » fruit d’ « une négociation réussie »  – que sa majorité d’endosser la responsabilité d’une plus grande flexibilisation de l’emploi, après les 20 milliards de crédit d’impôt consentis aux employeurs. Car l’accord conclu vendredi est très décrié à gauche. Jusque dans les rangs du PS. Sur le fond, Emmanuel Maurel, chef de file de la gauche du PS, la sénatrice Marie-Noëlle Lienemann et le député Jérôme Guedj dénoncent « un texte déséquilibré en faveur du patronat ». Dans un communiqué, ils pointent plusieurs « reculs sociaux majeurs [qui] ne peuvent être portés par la gauche ». Ainsi en est-il notamment des « accords de maintien de l’emploi » qui ne sont, à leurs yeux, que des « copies conformes des accords “compétitivité-emploi” proposés par Sarkozy pendant la dernière campagne ». Sur la forme, la gauche du PS comme le Front de gauche contestent surtout la portée normative de l’accord. Avec deux arguments. Il ne s’agit pas d’un accord majoritaire puisque les syndicats signataires sont minoritaires : la CFDT, la CFTC et la CFE-CGC totalisaient 38,7 % des voix aux élections prud’homales de 2008, 31 % aux élections dans les très petites entreprises à l’automne 2012 quand la CGT et FO rassemblaient à elles deux 49,8 % et 41,5 %. Pour la gauche du PS, l’accord n’est donc tout simplement pas conforme aux « principes de représentativité et de majorité posés par la loi de 2008 » sur la représentativité syndicale, qui, rappelle-t-elle, n’entrera en vigueur que courant 2013.

Enfin, second argument, aucun texte n’oblige les parlementaires à avaliser un accord qu’ils jugent mauvais. « Ce texte ne vaut pas loi », note le Front de gauche, qui rappelle aux parlementaires PS et EELV qu’ « ils peuvent refuser cette régression sociale ». « Il ne peut être question, selon nos principes constitutionnels, de priver la représentation nationale de son droit de débattre et de décider de l’orientation politique sur ces sujets essentiels pour nos concitoyens », abonde la gauche du PS. Sans se prononcer sur le fond de l’accord, le courant de Benoît Hamon prévient également que celui-ci « ne saurait impliquer la réduction de l’espace de débat légitime de la représentation nationale, ni sa transposition en une chambre d’enregistrement du dialogue social ». C’est pourtant ce que le gouvernement entend imposer. François Hollande s’est engagé à « transcrire fidèlement » dans la législation le texte de l’accord patronat-syndicats. Un projet de loi sera présenté en conseil des ministres le   6 ou le 13   mars. Les députés ne pourront déposer que « des amendements de précision », a prévenu lundi le patron du groupe socialiste à l’Assemblée, Bruno Le Roux, qui envisage d’en faire contrôler la conformité par des représentants des partenaires sociaux signataires.

Ce faisant, le gouvernement anticipe une réforme constitutionnelle projetée par François Hollande – exposée dans une tribune au Monde, en juin   2011, et rappelée lors de ses vœux au Conseil constitutionnel, le 7   janvier – qui souhaite « reconnaître le rôle des partenaires sociaux » dans la Constitution et ainsi délivrer à des accords contractuels un statut supérieur à la loi. « Inacceptable », a prévenu Jean-Luc Mélenchon, pour qui une telle inversion des normes constituerait une « déclaration de guerre ».

Travail
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