Ni d’gauche, ni d’gauche

Sébastien Fontenelle  • 14 mars 2013 abonné·es

**Un certain Jean-Claude Michéa* ,* qui est, si j’ai bien compris, « philosophe » – mais de médias –, va répétant ces jours-ci, pour la promotion de son nouveau livre [^2], qu’il conviendrait d’ « abandonner   » promptement « le nom de “gauche”   [^3] ». Plus précisément : il veut (très fort) remettre « en question le fonctionnement, devenu aujourd’hui mystificateur, du vieux clivage gauche-droite » – que nous appellerons ici, si tu veux bien, à la fin de gagner du temps, le VCG-D. Quand je lis des trucs comme ça, j’ai tendance, j’avoue, à m’hérisser – parce que, si mes souvenirs sont bons, les zhauts penseurs qui depuis des années nous invitent régulièrement à dépasser (enfin) le VCG-D (au lieu de nous sédimenter dans de néanderthaliens cloisonnements) et nous narrent qu’ils ne sont, pour ce qui les concerne, ni d’droite ni d’gauche, mâââme Durand, sont en réalité, dans 99,99 % des cas, des représentants de la Réaction [^4].

Et justement : l’excellent Michéa juge, sans rire (c’est l’une des explications qu’il produit, à l’appui de sa furieuse envie de nous voir «   changer de signifiant   » pour désigner ce que de pénibles nigaud(e)s s’obstinent selon lui sottement à appeler la gauche), que la « droite réactionnaire, cléricale et monarchiste a été », dans notre cher und vieux pays, «   définitivement balayée en 1945 et ses derniers vestiges en Mai   68», et que «   ce qu’on appelle de nos jours la “droite” ne désigne généralement plus  […] que les partisans du libéralisme économique de Friedrich Hayek et de Milton Friedman » – de sorte que nous autres, qui tenons tout de même à rester ancré(e)s dans le progressisme, sommes privé(e) s de notre « ennemi constitutif et des cibles précises qu’il incarnait (comme la famille patriarcale ou l’“alliance du trône et de l’autel”) ».

Mais, si je ne m’abuse  (et le fait est que, pour le coup, je ne m’abuse), nous venons quand même d’endurer, entre 2007 et 2012, cinq   années du règne d’une droite qui a quotidiennement fait montre, dans cet usant quinquennat, d’une brutalité sociétale qui ne s’était plus vue depuis un long demi-siècle. Et surtout : nous venons de vérifier, dans les hideux happenings de Versaillai(se)s rendus fous par le mariage pour tous –   et dont quelques importantes figuras de l’épiscopat sont classiquement venues alimenter la phobie à grands coups de proclamations dégueulasses   [^5]   –, que la droite réactionnaire et cléricale continue, contrairement à ce que prétend Michéa, de régner, plus agressive et revancharde que jamais, sur d’entiers arpents du paysage politique françousque. Ce curieux philosophe   [^6] erre donc assez tragiquement, lorsqu’il prétend qu’elle ne serait plus qu’un lointain souvenir   : ce n’est qu’à ce prix qu’il peut réclamer qu’on en finisse avec la gauche –   mais n’est-il pas un peu élevé ?

[^2]: Où il narre qu’il a « rompu avec la gauche » : ne fait-ce pas une passionnante aventure ?

[^3]: Marianne , 2 mars 2013.

[^4]: Avec un grand « R », comme dans Ivan Rioufol.

[^5]: Imaginons trois secondes ce qui se passerait si des éminences musulmanes intervenaient dans le débat public avec la délicatesse d’un Barbarin ?

[^6]: Dont la droite aime d’ailleurs follement faire la réclame, et dont le Figaro Magazine , par exemple, chantait encore ce samedi la louange : veut-ce point dire quelque chose ?

Publié dans
De bonne humeur

Sébastien Fontenelle est un garçon plein d’entrain, adepte de la nuance et du compromis. Enfin ça, c’est les jours pairs.

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