L’Hôtel-Dieu assassiné

La désorganisation des soins et des examens met en danger les personnes séropositives. Un de nos amis est déjà mort d’une mauvaise prise en charge.

Act Up-Paris  • 23 mai 2013 abonné·es

L’Hôtel-Dieu était un hôpital exemplaire. Premier service de soins palliatifs en France ; un service d’ophtalmologie de pointe récemment modernisé ; un service d’urgences rénové il y a moins de quatre ans pour 5 millions d’euros, qui assure notamment la délivrance de traitements d’urgence post-exposition (TPE) en cas de risque de VIH. La volonté politique – destructrice et criminelle – de la direction de l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP), de Jean-Marie Le Guen, député de la neuvième circonscription de Paris et adjoint à la santé de Bertrand Delanoë, et de Marisol Touraine, ministre de la Santé, est de dépecer cet établissement. Détruisant ses capacités de prise en charge pluridisciplinaire, fermant des services, organisant la désertion des médecins – quitte à leur proposer des augmentations – et dépensant des sommes colossales en campagnes de communication, conseils et audits destinés à justifier ces choix. Pourtant, dans un contexte ** où les hôpitaux parisiens ** sont déjà saturés, les professeurs Jean-Yves Fagon et Pierre Lombrail, énièmes « préfigurateurs », ne parviennent toujours pas à expliquer aux soignant(e)s et soigné(e) s en quoi cette mort annoncée d’un hôpital reconnu – et seul au centre de Paris – devrait être si profitable.

En tant qu’association de lutte contre le VIH, nous sommes furieux de la mise en danger qui nous est promise. En effet, séropositif(ve) s, nous sommes déjà victimes de la fermeture de services d’infectiologie, qui se traduit par une surcharge pour les autres services de même type à Paris. Nous sommes également victimes de la désorganisation d’autres unités. Il y a peu, Jean-Paul Viard, chef du service VIH de l’Hôtel-Dieu, nous alertait sur le fait que les « arrangements trouvés par les médecins et l’encadrement pour pallier les transferts de personnel paramédical du service de radiologie de l’Hôtel-Dieu vers Cochin ne sont plus opérants ». Des examens de dépistage cardiovasculaire pour des séropos au VIH sont annulés. La désorganisation des soins et des examens nous met en danger. Un de nos amis, co-infecté VIH-VHC, est déjà mort d’une mauvaise prise en charge à l’AP-HP. De rendez-vous reportés en diagnostics posés hâtivement, il s’est tourné peut-être trop tard vers une clinique privée. Il était précaire, comme énormément de malades, et ne pouvait facilement recourir au secteur privé.

En tant que pédés séronégatifs, parce que cet hôpital est le plus proche du Marais, combien d’entre nous sont allés aux urgences de l’Hôtel-Dieu chercher un TPE quand une capote s’est déchirée ? Combien d’entre nous ont échappé à une infection par le VIH parce que nous avons eu accès très rapidement au TPE ? Dans ces situations, le temps joue de manière cruciale, et Marisol Touraine le sait : ce sont les militant(e)s d’Act Up-Paris qui, lors d’une rencontre en juillet dernier, lui ont appris qu’un traitement post-exposition existait et ont souligné l’importance de son caractère d’urgence. Aller plus loin ? Dans des accueils d’urgences encore plus saturés ? Cela se comptera en contaminations. La politique de santé actuelle est, point par point, la même que celle de Nicolas Sarkozy. On se croirait dans un pays qui libéralise volontairement la santé pour faire plaisir à la Commission européenne, au mépris des inégalités qui s’accroissent. Quelles que soient les manifestes dissensions internes au Parti socialiste ^2, les organigrammes n’ont pas été modifiés : à l’Agence régionale de santé d’Île-de-France ou à l’AP-HP, restent aux manettes Claude Évin et Mireille Faugère, missionnés par le gouvernement précédent… La loi HPST (Hôpital, patients, santé et territoires) confère tous les pouvoirs à la ministre de la Santé et au président de la République. Face à leur mutisme sur la question, il est à craindre que les réserves d’Anne Hidalgo, candidate à la mairie de Paris, de Christophe Girard, maire du IVe arrondissement, ainsi que l’« attention » de Bertrand Delanoë pèsent peu.

La démocratie sanitaire est piétinée  ^3, les acteurs de la lutte contre le sida sont mobilisés depuis l’annonce des restructurations qui menacent l’ensemble des établissements de santé. Fin 2010, lors des États généraux de la prise en charge du VIH en Île-de-France, la direction de l’AP-HP s’était engagée à consulter les Coordinations régionales de lutte contre le VIH (CoReVIH) : cet engagement n’a jamais été tenu. Soigné(e)s et soignant(e)s sont informé(e)s des décisions et des échéances par la presse ; l’heure est à la riposte. Toute modification de l’offre de soins doit se faire en fonction des réalités, sur la base des missions premières du service public de la santé et non sous l’angle uniquement politico-comptable. Le gouvernement poursuit ce que l’UMP a ébauché, alors qu’il est en son pouvoir de mettre un coup d’arrêt à ce projet inique. Le silence de Marisol Touraine est une insulte aux malades et à celles et ceux qui sont morts des défaillances de l’AP-HP : Act Up-Paris exige qu’elle se prononce pour un moratoire ou qu’elle démissionne.

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