Drogués au gaz de schiste

200 000 puits ont été forés aux États-Unis entre 2008 et 2012.

Geneviève Azam  • 24 octobre 2013 abonné·es

Une source d’énergie inespérée surgit dans ces temps de catastrophe énergétique et économique : les gaz et huiles de schiste. L’Agence internationale de l’énergie conclut, dans son rapport de 2012, que les États-Unis deviendront le premier producteur de gaz au monde dès 2015, le premier producteur de pétrole entre 2017 et 2020, et qu’ils seront exportateurs nets en 2030. Nous voilà repartis dans l’âge d’or des Trente Glorieuses, avec une compétitivité retrouvée, une croissance tirée par une énergie abondante et bon marché, gisant sous nos pieds ignorants. Le déclin, depuis 2006, des sources conventionnelles d’énergie fossile, annoncé par cette même agence, pourra être compensé. C’est l’euphorie.

Bel exemple de* *comportement moutonnier, plus de 200 000 puits ont été forés aux États-Unis entre 2008 et 2012, dans de grands espaces encore vides, sans réglementation locale, et avec un droit qui rend les citoyens propriétaires du sous-sol. C’est la drogue dont ont besoin les investisseurs déprimés par l’effondrement de l’immobilier. Mais nous voilà vite repris dans un cycle maniaco-dépressif. Depuis 2012, en effet, aucun nouveau puits n’a été foré aux États-Unis : le prix du gaz s’est effondré devant l’augmentation de la production, et le prix du marché est insuffisant pour assurer la rentabilité des puits. De surcroît, le rendement d’un puits de gaz de schiste diminue de 60 % à 90 % à la fin de la première année. C’est pourquoi, pour maintenir la production et s’acquitter des dettes, il a fallu multiplier les puits et, pour calmer la dépression des financiers, annoncer des réserves extraordinaires.

Nous voici donc dans le processus de la pyramide de Ponzi, personnage qui offrait des rendements financiers extravagants en utilisant l’argent des derniers déposants. Ici, la pyramide menace de s’écrouler, car la productivité moyenne des nouveaux puits creusés diminue vertigineusement. Elle tient encore grâce à des puits associant la production de pétrole de schiste et de gaz, car le pétrole est subventionné et exonéré de redevances. Le pétrole subventionne le gaz. Pour les firmes qui ne sont pas des compagnies pétrolières, comme la pionnière Chesapeake Energy, dont des parts sont actuellement rachetées par des pétroliers chinois, elles ont pu amortir les coûts du forage sur un an seulement, et ainsi éviter l’impôt. Sombre histoire, connue par les décideurs, et dont le dénouement va laisser sur le tapis les plus démunis et léguer une nature polluée, avec en prime des émissions de méthane dont le pouvoir de réchauffement global est vingt-cinq fois plus élevé que celui du carbone à un horizon de vingt ans.

On comprend mieux l’urgence qu’il y aurait à forer des puits en Europe. L’indépendance énergétique est brandie. Or, sur la base des estimations actuelles, la production potentielle des gaz de schiste en Europe représenterait seulement 5 % de la consommation européenne annuelle moyenne. Alors, il s’agit bien, moyennant la libéralisation des investissements promise par l’accord actuellement négocié entre l’Union européenne et les États-Unis, de permettre la continuité d’une activité qui menace de s’effondrer, en exploitant des puits au départ plus rentables. La seule réponse est l’arrêt sans conditions.

Chaque semaine, nous donnons la parole à des économistes hétérodoxes dont nous partageons les constats… et les combats. Parce que, croyez-le ou non, d’autres politiques économiques sont possibles.

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