Tout sur Tonton

À l’occasion des vingt ans de la mort de François Mitterrand, un film de William Karel sort du lot.

Jean-Claude Renard  • 9 décembre 2015 abonné·es
Tout sur Tonton
© **François Mitterrand, que reste-t-il de nos amours ?** , lundi 14 décembre, à 20 h 55, sur Arte (1 h 27) ; **François Mitterrand, la maladie au secret** , mardi 15 décembre, à 20 h 55, sur France 2 (1 h 43). Photo : AFP

C’est une commémoration à laquelle on n’aura pas forcément pensé, balayée par le 7 janvier et le massacre de la rédaction de Charlie Hebdo, avant la tuerie dans l’Hyper Cacher. Mais le 8 janvier prochain sera marqué par le vingtième anniversaire de la mort de François Mitterrand. Sans doute conscientes de l’ampleur médiatique qui va s’installer autour du 7 janvier, a fortiori après les attentats du 13 novembre, et tenant compte des périodes de fêtes (un casse-tête, donc, en termes de programmation), certaines chaînes ont anticipé de quelques semaines les commémorations de la disparition de l’ancien Président, en 1996.

C’est le cas de France 2, qui propose un premier documentaire dans la case « Un jour, une histoire », François Mitterrand, la maladie au secret, réalisé par Agnès Hubschman, présenté par Laurent Delahousse (autrement dit, je vous prends par la main et c’est moi que j’vous raconte Mitterrand, avec la tonalité habituelle, si bien que tout vaut tout dans cette case portrait où seule change la tête du client). Pour le coup, c’est le cancer de la prostate de « Tonton » qui occupe le documentaire (1 h 43), un cancer détecté six mois après sa première élection et caché pendant onze ans, laissant place à des bulletins de santé impeccables, orchestrés par le Dr Claude Gubler, principal interlocuteur du film, autour de politiques (Dumas, Védrine, Bianco, Debré), de conseillers (Attali, Lauvergeon) et de journalistes (Michel Gonod, Alain Duhamel, Michèle Cotta, Pierre Jouve). Tous au commentaire sur la maladie faisant son œuvre, des médias muselés et des citoyens désinformés. Autour de ces commentaires, illustrant les propos (pour mieux combler le manque de quoi ?), accompagnées d’une musique de polar, des images de reconstitution. Sur une silhouette présumée présidentielle, sur une main, également présidentielle, consultant un dossier ou tapant un numéro de téléphone, sur le transport d’une mallette censée contenir des documents médicaux top secret, sur des conciliabules de médecins… Spectacularisation à souhait.

Ce mensonge d’État autour de la maladie, c’est aussi le point de départ de François Mitterrand, que reste-t-il de nos amours ?, signé William Karel et diffusé sur Arte. Un documentaire qui s’ouvre sur l’abolition de la peine de mort, la retraite à 60 ans, les 39 heures, la cinquième semaine de congés payés, les 10 % d’augmentation du Smic, l’autorisation des radios privées… Embellie de courte durée, relatée ici en moins d’une minute. Car le film de William Karel dresse un bilan cinglant des deux septennats. Sobrement, usant d’archives et d’un fonds photographique remarquable (Karel a été lui-même reporter chez Gamma et Sygma). Et d’évoquer un garde des Sceaux de la guerre d’Algérie, en 1954, donnant les pleins pouvoirs à l’armée, faisant exécuter à tour de bras, une classe ouvrière atomisée, la grande braderie de la télé, l’entrée du Front national à l’Assemblée nationale avec un scrutin à la proportionnelle, et un second septennat mené en monarque, marqué par les courtisans, la corruption, la manipulation, les écoutes, désintéressé de la politique intérieure, sans vision sur l’implosion du bloc de l’Est.

Au commentaire, cette fois, de nouveau Jacques Attali et Roland Dumas, mais encore Fabius ou Chevènement, et Pierre Péan. Sans concessions sur le choix de Bernard Tapie en ministre, le sacrifice de Bérégovoy, le suicide de François de Grossouvre, moins encore sur la francisque, un passé vichyste et l’amitié avec René Bousquet. Si le mensonge sur la maladie court le long du doc, il symbolise une gouvernance, celle d’un génie politique double, « à la fois cynique et idéaliste, et dans les deux cas avec sincérité », observe l’historien Éric Roussel. Mais, dans le concert de louanges qui risque d’accompagner le vingtième anniversaire de la mort de François Mitterrand, destiné surtout aux jeunes générations, William Karel concède avoir réalisé un documentaire adoptant, « un ton plus critique ». Critique, pédagogique et clairvoyant.

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