Grèce : À l’hôtel de la bonne étoile

À Athènes, des associations ont réquisitionné le City Plaza, un établissement désaffecté, pour accueillir des réfugiés.

Angélique Kourounis  • 19 octobre 2016 abonné·es
Grèce : À l’hôtel de la bonne étoile
© Photo : Ayhan Mehmet/ANADOLU AGENCY/AFP

« Si, pour l’État, c’est légal qu’un enfant dorme sur le tarmac du port du Pirée et illégal qu’il dorme au chaud dans un hôtel “squatté”, alors on préfère l’illégalité. » À l’hôtel Plaza, une bâtisse abandonnée en plein centre d’Athènes depuis sept ans et squattée depuis presque six mois, ils sont plusieurs à partager cet avis. Mais ils ont été plus loin dans leur indignation : ils ont agi. Les images des familles abandonnées à elles-mêmes dans les salles d’attente du port du Pirée, sans commodités ni intimité, les enfants jouant au bord de l’autoroute devant l’ancien aéroport Hellinikon, avec ses salles nauséabondes, et les humiliations quotidiennes infligées aux réfugiés les ont poussés à franchir la ligne rouge de ce qu’autorise la loi. « On ne squatte pas vraiment, précise non sans rire Giannis Androulidakis, l’une des têtes pensantes de cet exploit, on réquisitionne. On fait ce que devrait faire l’État et qu’il ne fait pas. »

Plus de 400 personnes vivent là, dont 150 enfants et de nombreux nouveau-nés. Des familles de Syriens, d’Afghans, de Kurdes et autres damnés de la Terre qui fuient la guerre ou la misère y ont trouvé refuge, dignité et même un semblant de vie de famille, car chaque famille bénéficie d’une chambre.

Des volontaires se relaient jour et nuit pour assurer la sécurité de tout ce petit monde. « La première chose que nous avons faite a été de remettre l’électricité en état et d’installer des extincteurs à tous les étages », explique fièrement Giannis Androulidakis. « On s’est préparés des mois avant. Rien n’a été laissé au hasard », souligne de son côté Irini Kondaridou, qui fait aussi partie, en tant que professeure, de l’aventure. Car, ici, on a très vite compris, bien avant le gouvernement grec, que bon nombre de réfugiés resteront en Grèce. Il faut donc les préparer à s’intégrer. « Ils doivent certes apprendre l’anglais pour le cas où ils seraient réorientés, mais également le grec, au cas bien plus probable où ils devraient construire leur avenir ici », indique cette professeure de lettres, qui essaie d’intéresser des adolescents à l’histoire grecque.

Pour les tout-petits, très nombreux, des volontaires des quatre coins du monde se relaient. Aujourd’hui, un couple de jeunes filles, une Suissesse et une Espagnole, propose de la musique et de la danse. « C’est super, ce qu’elles font, confie Suzanna, réfugiée syrienne et mère de sept enfants, mais les ateliers, les chants, les danses, les dessins et les sorties ne suffisent pas. Il faut absolument que les enfants recommencent à apprendre et aillent à l’école. » Le mari de Suzanna est déjà arrivé en Suède avec cinq de leurs enfants. La frontière s’est fermée avant qu’elle puisse le rejoindre. Elle est restée seule ici avec les deux autres, dont son aînée de 16 ans, Lina, qui s’est mise au français.

Les dons de l’étranger et la mobilisation des Grecs assurent trois repas par jour. Ali, un géant ivoirien, veille sur les épices de la cuisine, pendant que Skole, un volontaire albanais, organise les réserves de vivres et de produits d’entretien. Tous les matins, Reza, un réfugié iranien très âgé, met un point d’honneur à venir aider pour le petit-déjeuner, alors que Sorj, venu directement de sa Finlande natale, donne un coup de main à la cuisine. Aujourd’hui, il râle : « Il faut nettoyer des kilos de sardines, il faut dire aux gens de ne plus apporter de poissons, personne ne veut s’en occuper », lance-t-il en souriant.

Si les entrées sont filtrées avec bonhomie, les occupants doivent produire une carte rouge qui prouve qu’ils habitent bien ici. Le hall de l’hôtel est transformé en terrain de jeu : les enfants courent partout en riant, leurs parents les surveillent de loin, sourire aux lèvres. Les gamins jouent ensemble indépendamment des questions de nationalité auxquelles, souvent, les adultes s’accrochent. « C’est ce qui nous permet de faire le lien entre les différentes communautés, indique Giannis. Pas question ici de classer les gens par origine. Tout le monde est mélangé, et c’est voulu. » Cette cohabitation va de pair avec la laïcité, de règle. « Tout le monde peut prier qui il veut, mais dans sa chambre », indique Nikos Ianopoulos, volontaire. « Les parties communes sont ouvertes à toutes les religions, y compris aux athées, idem pour le ramadan, continue-t-il. Ceux qui l’observaient voulaient qu’on serve le petit-déjeuner à 4 heures du matin. Pas question : cela nous aurait mis à genoux. Les cuisines leur sont ouvertes et ils l’ont préparé eux-mêmes. Mais ceux qui ne respectent pas le ramadan ne sont pas pénalisés, même s’ils sont musulmans. » Toutefois, ceux qui boivent de l’alcool le font discrètement. De toute façon, « pour éviter les problèmes de violence, on a vite interdit l’alcool », -renchérit Ilias, un informaticien qui vit depuis des mois au Plaza.

Les actes de violence sont la seule raison qui puisse amener à expulser un locataire de cet hôtel pas comme les autres : « Là-dessus, pas question d’être coulant », martèle Ilias. C’est qu’ici, outre l’aide immédiate aux réfugiés, on essaie de construire un modèle de société. « Il durera ce qu’il durera, lâche Ilias, qui ne se fait aucune illusion, mais au moins on aura prouvé qu’une autre voie est possible. ». Aussi, tout le monde, hommes et femmes, participe aux travaux à tour de rôle, de la plonge au ménage.

Le comité d’autogestion de l’hôtel est composé à égalité d’hommes et de femmes. « C’est impressionnant de voir ces femmes, dont certaines portent le voile, affronter les hommes d’égale à égal, souligne Nikos. Elles apprennent très vite l’autogestion, même si elles viennent de villages reculés. C’est un bon bagage pour leur vie future », ajoute-t-il, un brin espiègle. Avis nuancé par Rabi, réfugié syrien qui parle parfaitement l’anglais et sert de traducteur : « Ceux qui s’intègrent vite sont des gens qui, déjà dans leur pays, voulaient avancer plus vite et ne le pouvaient pas à cause de leur environnement. Les autres, ceux qui ont toujours fonctionné selon les règles de leur société et ne se sont jamais posé de questions ne vont pas s’en poser ici non plus. Pour eux, cela prendra beaucoup plus de temps. »

Monde
Temps de lecture : 6 minutes