Trupa Trupa : Territoires désolés

Quatrième album du quartet polonais Trupa Trupa. Plus sombre que jamais.

Jacques Vincent  • 23 février 2022 abonné·es
Trupa Trupa : Territoires désolés
© Rafal Wojczal

Les nouvelles en provenance de Pologne ne sont pas souvent réjouissantes. La sortie du quatrième album de Trupa Trupa fait exception. Pour autant que le terme soit particulièrement adapté à un groupe qui a choisi de s’appeler « Cadavre cadavre ». Ce qui est réjouissant, c’est la profondeur de la vision proposée, aussi sombre soit-elle. Et elle l’est effectivement, ce que ne conteste pas le chanteur du groupe, Grzegorz Kwiatkowski, qui avoue d’ailleurs que la pandémie a encore assombri les compositions de ce nouvel album.

La musique de Trupa Trupa est souvent l’objet des comparaisons des plus flatteuses. On dit aussi qu’Iggy Pop et Henry Rollins en sont fans. De son côté, Trupa Trupa avoue être autant influencé par Sonic Youth que par Schubert. On en retiendra surtout qu’ils ont écouté beaucoup de musique et su en tirer profit.

Le décor de la musique du quartet est planté par cette phrase de Grzegorz Kwiatkowski : « Le territoire désolé de la nature humaine où haine et génocide ne sont pas seulement de lointaines réverbérations de l’histoire de l’Europe centrale mais résonnent encore dans la réalité contemporaine. »

Tout commence par un vif martèlement de batterie et une avalanche de notes de basse, un martèlement têtu et mécanique qui forge le fondement des compositions. Un son à la fois grave et plein, lourd, sombre, intense et dense. Une sensation d’enfermement et d’étouffement. Tout au moins dans la première partie du disque.

L’atmosphère change quelque peu après le quatrième morceau, le rythme se fait plus flottant, voire languide, mais basse et batterie restent les principaux artisans du son. Avec le rythme, ce sont les mélodies qui émergent. On n’y verra pas pour autant l’apparition d’une sérénité enfin atteinte. Plutôt un léger engourdissement des sens dont on ne peut déterminer si son origine est ou non naturelle. On n’y respire pas plus facilement. Le final, particulièrement réussi, prend la forme d’une spirale sonore, une variation autour de deux accords qui semble pouvoir résister à sa fin. Peine perdue mais la composition, qui donne son titre à l’album, reste la plus longue du disque.

Il y a quelque chose de visuel dans cette musique qui rappelle certains artistes plasticiens dont la particularité est d’utiliser des éléments exogènes à la peinture dans leurs œuvres ; morceaux de métal, béton, goudron… On pense à un Anselm Kiefer par exemple, lui-même travaillé par l’histoire récente de l’Europe, et à ses paysages dévastés que toute humanité aurait désertés. Les matériaux employés amplifiant le caractère désolé et violent. Ce n’est pas tant que Trupa Trupa utilise d’autres outils que des instruments classiques que la façon de les manier. Et d’en tirer une matière compacte et dure qui crée la bande sonore d’un monde industrieux broyant les corps et anéantissant les esprits. Une noire fascination.

B Flat A, Trupa Trupa, Glitterbeat.

Musique
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