Sainte-Soline : deux enquêtes ouvertes pour des traces de « marquage codé »

Deux personnes ont été placées en garde à vue après un contrôle à la lampe UV et la découverte sur elles de « traces criminalistiques » à base d’ADN de synthèse, projeté par les gendarmes sur les manifestants. Une nouvelle technologie qui déclenche, pour la première fois, des poursuites judiciaires. Et pose la question du cadre légal.

Nadia Sweeny  • 7 avril 2023
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Sainte-Soline : deux enquêtes ouvertes pour des traces de « marquage codé »
Des gendarmes de l'IRC de la Gendarmerie nationale, lors du salon Milipol, en novembre 2021.
© BERTRAND GUAY / AFP.

Alors qu’il quittait la ville de Melle, à quelques kilomètres de Sainte-Soline, Anti*, militant écologiste, est contrôlé par les gendarmes. « Ils ont sorti une lampe UV et ils m’ont scanné. Ils ont trouvé des taches bleues », se souvient-il. Ces taches révèlent la présence d’ADN. Anti est placé en garde à vue pour « groupement en vue de commettre des violences » à l’occasion de la grande manifestation contre les mégabassines.  

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Les prénoms ont été modifiés.

« Les gendarmes avaient l’air perdus. L’un d’entre eux m’a dit : ‘Ils ne vont pas vous lâcher, c’est leur nouveau joujou’ », témoigne-t-il. Une fois arrivé à la gendarmerie, il est de nouveau inspecté. « Un gendarme était au téléphone et demandait ce qu’il fallait chercher. Cette personne lui a dit que les taches bleues n’étaient pas importantes et qu’il fallait trouver des taches jaunes ou vertes », se souvient-il.

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Anti est alors transféré dans une pièce sombre pour effectuer un troisième contrôle. « Ils ont trouvé une petite tâche verdâtre entre mon pouce et mon index. » Le gendarme effectue un prélèvement à envoyer à l’Institut de recherche criminelle de la gendarmerie nationale (IRCGN) et remet Anti en cellule.

Le résultat tombe le lendemain, à 17 heures : « Ça n’est pas un marquage par contact direct, mais par transfert. » Personne n’est donc capable de dire comment cette trace s’est retrouvée sur sa main. Elle a pu atterrir là par simple contact avec un objet ou une autre personne « contaminée » par le « produit de marquage codé » (PMC), expérimenté depuis plusieurs mois en manifestation. À 17 heures 30, après 28 heures de garde à vue, Anti est relâché. Mais son affaire n’est pas classée sans suite. Une enquête est ouverte.

Substance criminalistique

Clément a vécu une expérience similaire. Journaliste indépendant, il est venu ce week-end là « dans le cadre d’un documentaire au long cours sur l’eau », explique-t-il à Politis. Lorsqu’il sort du village de Melle, il est contrôlé. Malgré sa carte de presse présentée aux gendarmes, le journaliste subit une fouille de sa voiture.

On lui demande de sortir du véhicule pour une « révélation de substances criminalistiques ». « Je n’avais aucune idée de quoi il s’agissait, j’étais confiant, détendu, poli. Ils se sont mis à plusieurs pour passer une petite lampe type UV sur mes vêtements, en me demandant de fermer les yeux car cela pouvait être dangereux pour moi. J’ai obéi. »

Puis, comme pour Anti, les gendarmes trouvent plusieurs traces bleues. « Ils m’ont assuré qu’il s’agissait d’ADN mais que c’était peut-être le mien – de la salive ou de la transpiration par exemple – et qu’il fallait m’amener à la gendarmerie pour faire un test plus approfondi. » Une fois sur place, Clément est testé une seconde fois. 

Le gendarme ne savait pas si les traces qu’il cherchait devaient être bleues ou vertes.

« Le gendarme ne savait pas si les traces qu’il cherchait devaient être bleues ou vertes, il a appelé un de ses collègues au téléphone. Il semblait un peu dépassé par la situation. Il m’a rescanné, toujours en me demandant de fermer les yeux. On m’a ensuite emmené dans une pièce sombre sans fenêtres. On m’a demandé d’enlever mon pantalon, puis mon t-shirt pour scanner. À ce moment, j’ai ouvert les yeux, pour essayer de comprendre ce qu’ils cherchaient exactement. J’ai vu l’agent s’arrêter sur le dos de ma main où j’ai aperçu une petite trace nette de la taille d’une phalange. Ils l’ont prise en photo. Puis ils m’ont mis en attente dans une salle. Je ne comprenais pas ce quil se passait, et ils ne voulaient me donner aucune information. »

Sidération

D’après Clément, deux autres gendarmes arrivent et opèrent un prélèvement au coton-tige sur le dos de sa main. « Tout cela me paraissait absurde. Mais, en sortant du prélèvement, on m’a notifié ma mise en garde à vue pour ‘participation à un groupement en vue de la préparation de violences volontaires contre les personnes ou de destructions ou dégradations de biens’ », une infraction passible d’un an de prison et de 15 000 euros d’amende.

Tout cela me paraissait absurde. J’étais sidéré.

« J’étais sidéré, je n’ai pas contesté mais j’ai le sentiment que ma mise en garde à vue est abusive et irrégulière : il s’est passé près de 2 heures avant que l’officier de police judiciaire me notifie mes droits. Or, j’étais déjà privé de liberté à partir du moment où j’ai laissé ma voiture à Melle pour suivre les gendarmes ! Ils n’avaient que faire de ma carte de presse, j’étais sous le choc. »

Clément est ensuite emmené dans une autre gendarmerie où ses empreintes digitales sont prélevées. « J’ai refusé de me soumettre à un prélèvement biologique (ADN) ce qui a donné lieu à une nouvelle infraction s’ajoutant à la première. » 28 heures plus tard, il est lui aussi libéré. Mais, là encore, le dossier n’est pas classé sans suite : une enquête est encore en cours.

Ces événements – que les avocats désignent comme étant les premières enquêtes judiciaires déclenchées à l’encontre de personnes présentes à une manifestation sur foi de ces produits de marquage codés – posent nombre de questions. La première : il n’existe aucun cadre légal qui organise l’utilisation de ces produits.

Les services de sécurité intérieure les testent depuis 2011 dans 17 départements pour la lutte contre les braquages ou les vols. D’après le site du pôle judiciaire de la gendarmerie, « les PMC permettent de relier un individu et/ou un objet à la commission d’une infraction » grâce à « l’unicité des codes », présents dans la substance projetée sur une personne. À Sainte-Soline, le PMC fut propulsé par un lanceur éclipse Emek EMC100, normalement utilisé pour du paintball.

Le caractère « discriminant » de cette technologie « contribue à élever le PMC au rang des preuves matérielles au sein du procès pénal », peut-on y lire. Mais, « comme tout autre élément de preuve, il se doit nécessairement d’être corroboré par les autres indices et données de l’enquête ».

Ici, les traces minimes de PMC sur les deux individus ne semblent prouver que la présence du journaliste à un endroit et instant donnés. En ce qui concerne Anti, elles n’indiquent qu’un contact avec un élément marqué sur place. Ce qui pose une seconde question fondamentale : la nature de l’infraction reprochée.

Si le marqueur ne prouve à lui seul que la présence d’une personne à un endroit précis, l’infraction devrait se limiter à une éventuelle participation à une manifestation interdite, passible d’une simple amende. Peut-on reprocher une telle présence à un journaliste ?

Contacté, Julien Wattebled, le procureur de Niort, refuse de communiquer et se contente de confirmer le placement garde à vue de deux personnes « à la suite de la découverte de produit de marquage ».

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