« Une partie de la jeunesse »

Où notre chroniqueur rend hommage à Taï-Luc, chanteur disparu de La Souris déglinguée. Un groupe de rock qui, malgré des angles morts, a incarné la lutte de la jeunesse contre l’extrême droite.

Sébastien Fontenelle  • 13 décembre 2023
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« Une partie de la jeunesse »
La pochette de "Banzaï !", en 1991.
© DR

L’autre jour – c’était le 1er décembre –, Tai-Luc est mort. Tai-Luc était le chanteur de La Souris déglinguée (also known as La Souris, also known as LSD). Ce « citoyen du monde » – puisque c’est ainsi qu’il se définissait – a emporté avec lui tout un pan d’une époque déjà lointaine dont il aura jusqu’au bout été l’archiviste et le barde. Une époque enfuie où Paris était quadrillé par « les punks et les rockers, les skinheads et les autres » – et par toute « une partie de la jeunesse » dont, chanson après chanson, Tai-Luc, parolier hors pair, chroniquait, en poète engagé, le quotidien fait de joies et de peines, d’ennuis et de révoltes, et les longues errances urbaines, dans l’attente d’un nouveau futur : « Rien n’a encore changé, on marche encore sous la pluie, on marche même toute la nuit, sans avoir rien trouvé – rien trouvé de mieux à faire que de foutre en l’air des poubelles. »

La vérité oblige à rappeler qu’il y a eu quelques angles morts dans la longue saga de La Souris, dont les chansons célébraient le métissage et la solidarité, mais dont l’histoire passe aussi par une certaine complaisance, dans les années 1980, et sous le sceau d’une valorisation de l’« amitié » comme dépassement des clivages politiques, pour l’incommodant folklore de certaines tribus urbaines – ou, plusieurs décennies plus tard, par le calamiteux concert du 31 juillet 2015 lors duquel le groupe avait, pour la plus grande consternation de beaucoup de ses fans, accepté de jouer après une formation d’extrême droite dans les arènes de Fréjus, ville tenue par le Front national.

Interpellé, Tai-Luc, pour justifier cette date de trop, avait de nouveau invoqué, dans un communiqué, des amitiés personnelles – et il avait demandé à être plutôt jugé sur les paroles de ses chansons, décrétant, un rien lapidaire : « En ce qui concerne l’ambiguïté que l’on prête à La Souris déglinguée, elle cède à l’examen de ses paroles où se lit clairement le refus libertaire de l’asservissement des consciences, des simplifications et de l’uniformisation totalitaires. »

De fait, et plutôt que de rester sur de tristes souvenirs, on préfère se rappeler aujourd’hui le côté lumineux d’un groupe dont le beau et vaste répertoire, avec ses échappées régulières vers le jazz, le reggae et le rap (liste non exhaustive), compte de nombreux hymnes antifascistes et antiracistes, comme « Jeunes Voleurs », puissante charge décoloniale dans laquelle Tai-Luc convoquait, pour raconter le meurtre d’un adolescent par un contrôleur, « Frantz Fanon à la basse » – ou comme « Rock’n’roll vengeance », enregistré en 1981, et qui, quarante-deux ans plus tard, semble avoir été écrit hier : « Pourquoi as-tu peur quand tu contrôles les médias ? Est-ce que tu le sais pourquoi je te hais ? Pourquoi je me bats toujours contre toi ? Je cherche à détruire tous tes préjugés, je cherche à détruire toutes les croix gammées. Génération destruction : un peu de vengeance sur ta peau blanche. »

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De bonne humeur

Sébastien Fontenelle est un garçon plein d’entrain, adepte de la nuance et du compromis. Enfin ça, c’est les jours pairs.

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