Écrire l’avenir sans Jean-Luc Mélenchon ?

Contrat de coalition, dîners entre unionistes, primaire, débat programmatique : à gauche, certains tentent de reconstruire l’unité pour la prochaine présidentielle en excluant le leader insoumis. Mais le chemin est encore long et la campagne des européennes a fait naître de nouveaux problèmes.

Lucas Sarafian  • 5 juin 2024 abonné·es
Écrire l’avenir sans Jean-Luc Mélenchon ?
Jean-Luc Mélenchon, le leader de La France insoumise en meeting pour les élections européennes, le 16 mars à Villepinte.
© Amaury Cornu / Hans Lucas / AFP

Équation complexe. Comment imaginer une alliance réunissant le plus de composantes de gauche possible après une campagne pleine d’invectives et de divisions idéologiques ? Les socialistes, les écologistes, les « unionistes » du Parti communiste et les « frondeurs » insoumis se creusent la tête pour tenter d’identifier le problème qui les empêcherait d’effacer leurs désaccords et de faire renaître l’union des gauches. Et, après quelques réflexions, tous parviennent au même résultat : le problème se nommerait, d’après eux, Jean-Luc Mélenchon.

La vie politique française ne tourne pas autour d’une seule personnalité.

P. Jouvet

Le triple candidat à la présidentielle et fondateur de La France insoumise (LFI) n’est plus perçu comme celui qui a permis à la gauche de se rassembler sous le nom de Nouvelle Union populaire, écologique et sociale (Nupes). Il est aujourd’hui vu comme le diviseur, celui qui creuse les ­fractures scindant la gauche, celui qui ne peut pas être le candidat de l’union lors de la prochaine présidentielle en 2027. Il faudrait donc faire sans lui. « La vie politique française ne tourne pas autour d’une seule personnalité», euphémise, le 19 mars, en marge d’une conférence de presse, Pierre Jouvet, le secrétaire général du Parti socialiste (PS). « La posture de Jean-Luc Mélenchon, c’est celle qui fait gagner des voix et de la popularité. Mais ce n’est pas celle qui permet de rassembler toute la gauche», estime un eurodéputé écologiste.

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Les initiatives se multiplient pour tenter d’imaginer la suite après le 9 juin. Du côté des « frondeurs » de LFI, Clémentine Autain et François Ruffin s’organisent en vue d’apparaître aux yeux de tous comme des candidats possibles. Comprenant qu’ils ont tout intérêt à nouer des liens à l’extérieur d’un mouvement dans lequel ils sont ostracisés, les deux députés discutent avec des élus de toutes les familles de gauche, mettent en place des groupes de travail et tentent surtout de ne pas entrer en confrontation directe avec Jean-Luc Mélenchon.

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En dehors de ces deux écuries naissantes, les « unionistes » du PCF, réunis au sein de la tendance « Alternative communiste » menée par la députée Elsa Faucillon et le maire de Gennevilliers Patrice Leclerc, tentent de maintenir les liens, notamment avec les insoumis en délicatesse avec le noyau mélenchoniste de LFI. Du côté des Écologistes, un petit regroupement de « Verts unitaires », rassemblant les écolos qui étaient les plus favorables à une liste d’union des gauches pour les européennes, s’est formé en pleine campagne dans le but de réfléchir au processus de réunification des partis de gauche.

On travaille au quotidien à l’Assemblée. 90 % des combats, on les mène en commun. 10 % de sujets font débat.

C. Chatelain

« On ne se perd pas de vue et on ne perd pas de vue l’exigence qui est la nôtre : le rassemblement. Donc on y travaille», assure, le 23 mars aux Rencontres des pensées de l’écologie à Cluny (Saône-et-Loire), le président des députés PS, Boris Vallaud. Des boucles de discussion existent. Les canaux de communication informels sont toujours là. À ­l’Assemblée nationale, les députés continuent de se ­croiser et de défendre des textes ensemble. « On travaille au quotidien à l’Assemblée. 90 % des combats, on les mène en commun. 10 % de sujets font débat », calcule la présidente du groupe écologiste, Cyrielle Chatelain.

Entre les directions des partis, les échanges ne sont pas rompus : Marine Tondelier, la secrétaire nationale des Écologistes, discute avec la direction du PS et son premier secrétaire, Olivier Faure. Tout en gardant des liens avec certains frondeurs de LFI, et notamment François Ruffin. Les contacts sont néanmoins plus distants avec les communistes : leur secrétaire national, Fabien Roussel, rêve de mener une ­deuxième aventure présidentielle en créant un rassemblement alternatif, éloigné du noyau mélenchoniste de LFI.

Un contrat de coalition

Au milieu de ce tableau, une bande s’est constituée. À la table de ses dîners très politiques : les insoumis Clémentine Autain, François Ruffin, Raquel Garrido et Alexis Corbière, les socialistes Johanna Rolland et Boris Vallaud, les écologistes Cyrielle Chatelain et Éric Piolle, et les communistes Elsa Faucillon et Sébastien Jumel. Au cœur des discussions, une question : comment reconstruire l’union pour 2027 ? L’hypothèse d’une sorte de contrat de coalition a notamment été posée. Selon cette idée, un parti pourrait présider une majorité à l’Assemblée, une force pourrait être représentée à la tête de plusieurs ministères stratégiques ou à Matignon, et le représentant d’une autre composante pourrait être candidat à l’Élysée. Ce sont les socialistes qui, depuis 2023, défendent le plus cette formule.

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Olivier Faure pense même à porter une initiative le 10 juin, c’est-à-dire le lendemain des européennes. Objectif : poser la première pierre de la grande réconciliation des gauches et prendre de court une partie du mouvement insoumis qui tente de défendre la possibilité d’une quatrième candidature de Jean-Luc Mélenchon (voir page 18). « Le Parti socialiste est favorable à une candidature unique en 2027. Les Verts disent depuis le début de la campagne que ces européennes ne changeront pas la donne. Ce sont les insoumis qui sont les plus définitifs, c’est dommage, regrette un élu des instances nationales du PS. Ils savent qu’ils n’ont aucun intérêt à défendre un autre marqueur que la présidentielle en 2022, c’est-à-dire Jean-Luc Mélenchon. »

Mais cette campagne électorale fait naître des questionnements qui n’existaient pas il y a six mois. Concernant les Écologistes, si Marie Toussaint ne réussit pas à dépasser la barre des 5 % des suffrages – ce qui empêcherait de faire élire des élus écolos français à Bruxelles –, certains se mettent à réfléchir à l’organisation d’un congrès après l’été pour remettre en cause la direction du parti. Quant aux socialistes, un bon score de Raphaël Glucksmann pourrait rebattre les cartes du rapport de force au sein du PS. Car les défenseurs de la tendance anti-Nupes du parti voient dans la percée de leur tête de liste dans le débat public une occasion de légitimer l’existence d’un centre-gauche modéré, capable de capter un électorat centriste.

Faux débat et gauche molle

Certains perçoivent aussi en Raphaël Glucksmann un prétendant possible à l’élection suprême et l’homme providentiel qui pourrait concurrencer le leadership idéologique et moral de Jean-Luc Mélenchon sur le reste de la gauche. Le 30 mai au Zénith de Paris, il a annoncé vouloir travailler « à l’émergence d’une social-démocratie rénovée, débarrassée de ses compromissions, qui épouse l’écologie politique et se refonde en l’épousant ».

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Devant cette situation, les insoumis estiment que le problème que les autres forces de gauche perçoivent en Jean-Luc Mélenchon est un faux débat. « Aujourd’hui, ils disent que leur problème, c’est Jean-Luc. Demain, ce sera quelqu’un d’autre, rétorque l’eurodéputée et tête de liste Manon Aubry. Leur problème, c’est ce que l’on incarne et notre ligne politique : la retraite à 60 ans, la rupture avec le monde économique dans lequel on vit.»

Olivier Faure vient de perdre son parti. Il l’a rouvert à la gauche molle.

Pour un cadre du mouvement, « les Écologistes devront tirer les conséquences de cette campagne. Olivier Faure vient de perdre son parti. Il l’a rouvert à la gauche molle comme Nicolas Mayer-Rossignol, François Hollande ou Anne Hidalgo. Si Glucksmann fait un bon score, ce sont eux les vrais gagnants de l’élection. Et la ligne unitaire d’Olivier Faure perd le congrès. On revient au Parti socialiste tel qu’on l’a connu avant la Nupes, qui essaiera de se reconstruire sur les cendres du macronisme. À voir si les Écologistes les suivront.»

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Les petits plans unitaires seraient peut-être en train d’être sérieusement contrariés. Car, derrière cette guerre de tranchées se cache un débat de fond. D’un côté, une partie de la gauche est tentée d’investir un terrain plus modéré, convaincue qu’une grande partie de l’électorat macroniste pourrait se retrouver au sein du logiciel social-démocrate. De l’autre, une gauche plus radicale est résolument persuadée qu’elle seule est capable d’attirer à elle toutes les composantes de la gauche et d’incarner une alternative durable dans un paysage politique tripolarisé. Comment trouver une réponse à toutes ces questions ?

« Cette élection laissera des traces. Mais l’union pourra se faire uniquement sur le fond», remarque une eurodéputée de gauche. Des écologistes comme Cyrielle Chatelain sont favorables à l’élaboration commune d’un programme de gouvernement sur 100 jours puis sur cinq ans au lendemain des européennes. « On a des cultures militantes ou des imaginaires différents, mais on a aussi un objectif commun, et tout le monde sait que ce qui nous unit est beaucoup plus important que ce qui nous divise », affirme une écologiste.

C’est un tort que de creuser des fossés qui pourraient être infranchissables.

M. Toussaint

D’après Marie Toussaint, « c’est un tort que de creuser des fossés qui pourraient être infranchissables. Si on veut pouvoir travailler ensemble pour 2027, il faut deux choses. D’abord, la fin de la brutalisation de la vie politique, incarnée par Jean-Luc Mélenchon, dont les qualités sont bien mieux utilisées quand elles sont mises au service de la coopération plutôt que de la division. Ensuite, il faut de la clarté sur le projet politique, car on ne pourra pas se retrouver ensemble si nos orientations ne sont pas partagées par tous ».

Quel niveau de radicalité ?

Encore faudra-t-il se mettre d’accord sur le niveau de radicalité, avec certains socialistes qui veulent l’abaisser quand certains frondeurs de LFI veulent s’en tenir à la logique du programme écrit en 2022. « Ne faisons pas comme s’il n’y avait pas de programme. Tout n’est pas fait pour 2027, mais il y a une base de travail qui n’est pas nulle avec le programme de la Nupes, expliquait il y a quelques semaines une frondeuse. Maintenant, il faut avoir la volonté, après ces européennes, avec un travail programmatique et une méthode de départage des candidats pour nous permettre de gagner. » Dans l’intervalle, des figures identifiées à gauche n’attendent pas ces réunions qui s’annoncent interminables pour penser à la suite : l’écologiste Sandrine Rousseau et le socialiste Boris Vallaud publieront, chacun, un livre à la rentrée.

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Certains estiment aussi que le processus de désignation d’un candidat pourrait permettre de trouver une voie de sortie. Un conseil des sages, sorte d’objet politique qui permettrait de remplacer le parlement de la Nupes, qui n’a jamais prouvé son utilité, aurait été évoqué dans certaines conversations. Selon Libération (3 avril 2024), Alexis Corbière réfléchirait à un processus de désignation qui pourrait s’inspirer du modèle de la primaire, avec le politiste et spécialiste de la gauche Rémi Lefebvre, qui fait désormais partie du conseil scientifique du Labo des partis.

Il faut qu’on puisse avoir une procédure collective et démocratique de choix de notre candidat. Donc une primaire.

J. Guedj

Le député socialiste de l’Essonne Jérôme Guedj est aligné : « Il faut qu’on puisse avoir une procédure collective et démocratique de choix de notre candidat. Donc une primaire. Je demande à être démenti s’il y a un autre processus valable. Si quelqu’un veut être candidat à la présidentielle, par quel processus peut-il l’être sans être tributaire du choix de Jean-Luc Mélenchon tout en embarquant les autres forces de gauche ? » Le casse-tête ne fait que commencer.

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