Pour contrer le RN, la gauche redouble de modes d’action
Depuis quelques années, écologistes, socialistes, communistes et insoumis ont mis en place des instances internes pour analyser les stratégies de l’extrême droite et tenter de riposter. Mais la lutte unitaire n’est pas pour tout de suite.

© Louise Moulin
Il y a urgence. Depuis des années, les partis de gauche disposent d’outils internes pour contrer l’extrême droite. Mais la situation politique n’a jamais été aussi alarmante. Contrer Marine Le Pen, Jordan Bardella et le Rassemblement national (RN) aux prochaines élections ? Pas une mince affaire. Les formations de gauche se creusent les méninges et, chacune avec ses méthodes, tentent de trouver des pistes pour résoudre une difficile équation politique : comment faire refluer le vote pour l’extrême droite ? La solution miracle existe-t-elle ?
Chez les Verts, former et protéger
Chez les Écologistes, la conseillère de Paris Raphaëlle Rémy-Leleu a fait voter un texte lors du dernier congrès du parti, en 2022, pour inscrire dans la feuille de route des Verts la mise en place d’une commission consacrée à la lutte contre l’extrême droite. Une façon de relancer le groupe de travail mis en place en 2012 – dont Marine Tondelier était membre – et qui n’était plus actif depuis un certain temps. L’élue a ensuite défendu une motion votée au conseil fédéral du parti en avril 2023 afin d’acter la création de cette commission.
Le RN lance des ballons d’essai au niveau local avant de les utiliser à l’Assemblée ou dans les médias nationaux.
R. Rémy-Leleu
Ses missions ? Faire des formations auprès des militants, intervenir sur le terrain, écrire des communiqués de presse, préparer les éléments de langage quand un représentant du parti est invité dans les médias, etc. Pendant les européennes, le groupe a, par exemple, écrit des fiches d’argumentaires pour répondre au discours de Jordan Bardella. Durant les législatives, cette commission a étudié les profils des candidats marinistes pour préparer la riposte.
En parallèle, des élus écolos siégeant dans les conseils régionaux se sont organisés afin de faire remonter les éléments de langage utilisés par les représentants locaux du RN. « Car ce parti lance des ballons d’essai au niveau local avant de les utiliser à l’Assemblée ou dans les médias nationaux », explique Raphaëlle Rémy-Leleu. En 2025, le groupe continuera ses webinaires et s’investira en vue des municipales, des élections primordiales pour le parti de Marine Le Pen.
Mais, surtout, l’élue parisienne plaide pour que son parti organise des formations en vue de la création d’un service d’ordre propre au parti. « Quelques camarades sont formés, mais on n’en a pas officiellement. Et les militants, les jeunes femmes surtout, sont des cibles de l’extrême droite dans les manifestations », affirme Raphaëlle Rémy-Leleu. Le 8 mars, des activistes d’extrême droite liés au collectif identitaire Némésis ont « intimidé » des jeunes manifestantes à Paris. L’élue parisienne a dû s’interposer pour les protéger. « Il faut hausser notre niveau sur la mise en sécurité quand l’extrême droite s’infiltre de plus en plus dans les cortèges », reconnaît Raphaëlle Rémy-Leleu.
Au PS, deux élues très actives
Au sein du Parti socialiste (PS), ce n’est pas une commission mais deux secrétariats nationaux qui sont dédiés à la lutte contre l’extrême droite. En 2014, le premier secrétaire, Jean-Christophe Cambadélis, poussé par de jeunes cadres du parti, monte une cellule de lutte contre le Front national. Mais, depuis, le poste avait disparu des radars. C’est en 2022 que Sarah Kerrich-Bernard et Ninuwé Descamps remettent le sujet sur la table. La première est avocate, conseillère régionale des Hauts-de-France et première secrétaire de la fédération du Nord. La seconde est conseillère municipale d’opposition à Pourrières, dans le Var.
Les militants sont désemparés lors des élections locales et on a identifié les territoires de conquête du RN.
N. Descamps
Olivier Faure, élu à la tête du parti depuis presque quatre ans, accède à la demande et crée deux secrétariats nationaux : l’un chargé de la lutte contre l’extrême droite, l’autre de la veille. Depuis mars 2022, les deux élues enchaînent les auditions, organisent des visios pour former les militants et s’attellent à faire remonter leurs analyses et la synthèse de leur veille en période électorale. Lors de la dernière campagne des législatives, elles ont compilé les débats des « brebis galeuses » du RN, ces candidats qui ont multiplié les dérapages racistes et xénophobes dans de nombreux médias locaux partout en France.
Le 15 mars à La Bellevilloise, dans le 20e arrondissement de Paris, les Roses ont organisé un séminaire destiné à rendre compte du travail mené par les deux élues depuis plus de deux ans et former les militants.
Trois initiatives ont été prises à la suite de ce modeste événement : la mise en place d’une cellule spécifique censée préparer les municipales « dans les villes dirigées par le Rassemblement national ou susceptibles de basculer », la constitution d’un réseau d’avocats « prêts à se mobiliser auprès des candidats et militants », accompagné d’un guide pratique juridique « pour engager la bataille judiciaire contre le Rassemblement national », ainsi que la réalisation d’un « manuel pour combattre les idées et les propositions » de ce parti. « On a fait le constat que les militants sont désemparés lors des élections locales et on a identifié les territoires de conquête du RN », précise Ninuwé Descamps.
Au PCF, quatre groupes de travail
Le RN vise des grandes villes mais il risque de s’implanter dans les territoires ruraux et les petites communes.
S. Laborde
Au Parti communiste français (PCF), les formations de base proposées aux militants intègrent déjà la question de la stratégie électorale du RN. Et, en interne, quatre groupes travaillent sur le sujet : une cellule chargée d’examiner la stratégie de l’extrême droite, qui a produit une analyse synthétisant les orientations du parti mariniste de 2015 à 2024 ; une « cellule riposte », qui a pour mission de dénoncer les impostures du RN sur tous les sujets ; un groupe rassemblant des chercheurs et des élus communistes de certaines régions comme le Grand Est, Paca, le Nord-Pas-de-Calais ou la Nouvelle-Aquitaine, pour étudier l’implantation territoriale du parti ; et enfin une cellule de veille chargée de relever tous les débordements et les procès de l’extrême droite.
« Aujourd’hui, on travaille dans la perspective des municipales. Le RN vise des grandes villes mais il risque de s’implanter dans les territoires ruraux et les petites communes en tentant de cacher l’étiquette de son parti, en utilisant des listes citoyennes ou ‘d’intérêt général’ pour s’insérer dans les conseils municipaux, analyse Sébastien Laborde, conseiller départemental de Gironde, responsable de la commission éducation du PCF et chargé de la coordination de ces quatre cellules. Mais on pense que rien n’est écrit. Il y a des endroits où on peut le faire reculer. »
LFI relance un observatoire, « outil d’action »
Le mouvement insoumis n’a pas de cellule dédiée. Mais les mélenchonistes affirment que leur organisation a entièrement été construite pour affronter l’extrême droite. « Jean-Luc Mélenchon a toujours pensé son action politique comme frontalement opposée à l’extrême droite. Cette lutte, c’est dans notre ADN », considère Juliette Prados, responsable média du groupe insoumis à l’Assemblée. La France insoumise (LFI) peut également compter sur le travail idéologique que réalise l’Institut La Boétie, présidé par Clémence Guetté et Jean-Luc Mélenchon.
Chez les insoumis, c’est d’abord à l’Assemblée que la lutte a lieu. Une collaboratrice a été embauchée pour suivre spécifiquement les prises de position des députés marinistes. Et au sein du groupe parlementaire, une cellule a été mise en place en 2022 afin de documenter les propositions de loi du RN, les amendements de ses députés, la concordance de leurs votes avec ceux des autres groupes et les colloques qu’ils organisent.
Il faut qu’on soit capables de produire des contre-mobilisations et des contre-récits.
T. Portes
« Leurs textes sont des marqueurs très forts de leur idéologie », indique le député de Seine-Saint-Denis Thomas Portes, chargé de coordonner cette équipe à la Chambre basse. En ce moment, la petite cellule de députés planche sur la question des zones à faibles émissions (ZFE) : les députés RN se déploient pour supprimer cette mesure, symbole selon eux de cette écologie « punitive » qu’ils exècrent.
En parallèle, Thomas Portes relance l’Observatoire national de l’extrême droite (Oned), un collectif qu’il a créé en 2020, alors qu’il était encore membre du PCF, et dont Politis est partenaire. « On le relance aujourd’hui parce que la période est pire qu’en 2020. Il y avait 8 députés d’extrême droite, on en est à 140 », expose le député. Mais le principe de cet observatoire change un peu : il n’est plus seulement théorique, il se veut un « outil d’action ».
« Cet observatoire doit être un outil de référence et de vulgarisation car il est compliqué de lire des études et des livres de centaines de pages écrites par un chercheur. Mais je veux qu’il soit surtout sollicité par les militants et les collectifs locaux, partout en France. Il faut que ce soit un instrument en prise directe avec le terrain. Nous allons participer aux manifestations quand l’extrême droite mène des actions, organise des débats, quand elle s’organise localement. Il faut qu’on soit capables de produire des contre-mobilisations et des contre-récits », affirme Thomas Portes.
En 2020, l’Oned était composé de nombreuses figures politiques, comme Caroline Fiat, Elsa Faucillon, Clémentine Autain, Manon Aubry, Aurore Lalucq, Danièle Obono et Marine Tondelier. Il sera aujourd’hui composé de profils plus « opérationnels ». L’historienne Laurence De Cock, la porte-parole d’Attac Youlie Yamamoto, la députée communiste Elsa Faucillon, la porte-parole de l’Union étudiante Éléonore Schmitt et l’ex-député insoumis Léo Walter composeront le nouveau conseil d’administration.
On veut des gens qui bossent. L’idée n’est pas d’avoir une vitrine avec des personnalités.
T. Portes
« On veut des gens qui bossent. L’idée n’est pas d’avoir une vitrine avec des personnalités, annonce une membre de l’observatoire. Il y a aura des représentants des Verts, des communistes, Attac, FSU… C’est unitaire. » Aucun socialiste ? « Les socialistes sont partis en cours de route en disant qu’ils allaient d’abord faire leur initiative. Mais la porte est toujours ouverte », assure Thomas Portes.
« On est en contact avec eux, mais on veut d’abord poser nos bases idéologiques au sein de notre parti. On regardera ce qui se passe à l’Oned et on les rejoindra peut-être, explique la socialiste Ninuwé Descamps. Il ne faut pas rester fermé à l’union des gauches quand il s’agit de lutter contre l’extrême droite. » À gauche, les prises de bec ne sont jamais très loin.
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