Alix*, blessée à Sainte-Soline : « Les gendarmes ont eu la permission de tuer »
Elle a été blessée gravement lors de la manifestation contre les mégabassines, en mars 2023 et déposé plainte. Pour Alix*, les révélations de Mediapart et Libération démontrent le caractère institutionnel de la violence au sein de la gendarmerie.

© Guillaume Deleurence
Le prénom a été modifié.
La vidéo est accablante. 18 minutes d’un déchaînement de violences, physiques comme verbales, de la part de gendarmes venus de toute la France pour « maintenir l’ordre » lors de la manifestation interdite de Sainte-Soline (Deux-Sèvres) contre les mégabassines, en mars 2023. Publiées conjointement par Mediapart et Libération, ces révélations indignent, et ont obligé le ministre de l’Intérieur, Laurent Nuñez, à ouvrir une enquête administrative.
Alix*, 22 ans aujourd’hui, fait partie des manifestants gravement blessés lors de cette mobilisation. Elle a reçu une grenade GM2L au visage, provoquant un traumatisme facial et des blessures aux pieds. Avec trois autres blessés gravement, elle a porté plainte. Aucun suspect n’a été identifié comme étant l’auteur du tir à l’origine de la blessure. Mais pour la militante, qui réagit auprès de Politis, l’essentiel ne se trouve pas là. Elle veut que l’institution toute entière rende des comptes.
Quelle est votre réaction à l’enquête vidéo publiée par Mediapart et Libération, particulièrement accablantes pour les forces de l’ordre ?
Alix : Comme j’ai porté plainte, on avait déjà eu accès au contenu écrit de l’enquête judiciaire. Donc je savais qu’elle démontrait l’existence de nombreux tirs non réglementaires et que ceux-ci n’étaient pas des initiatives individuelles mais bien la conséquence d’ordres donnés. Mais je n’avais pas forcément connaissance de l’ampleur de cela : l’enquête de Mediapart et Libération démontre que les ordres de tirs tendus ont été donnés dans, au moins, 9 escadrons sur 15. Et encore, c’est quand les gendarmes avaient leur caméra allumée, ce qui est loin d’être systématique.
Ce n’est pas tel ou tel gendarme le problème, mais bien l’institution tout entière qui est en cause.
Depuis le début, ma réaction est politique. On a essayé de nous dire qu’il n’y avait pas eu de débordements du côté des gendarmes, cela a été démonté, images à l’appui. Mais ces nouvelles révélations prouvent qu’il s’agit bien d’un rapport institutionnel, systématisé à la violence.
C’est cela qui me choque le plus : l’appétit du combat et de la violence des forces de l’ordre qui émane de la vidéo. Les propos comme « je ne m’attendais à ce que ce soit bien, mais pas autant, là c’est la guerre civile », ou « j’ai signé pour ça, j’ai attendu 10 ans de gendarmerie pour vivre ça » attestent de la volonté de créer le contexte de violences qu’on a connu. En tant que militants, on le savait, on le dénonçait, mais là, les révélations permettent de le prouver explicitement. C’est très inquiétant.
Concernant le tir qui a causé votre grave blessure, aucun suspect n’a pu être identifié parmi les gendarmes, même si l’enquête judiciaire a prouvé que c’était bien une grenade « lancée improprement par un lanceur Cougar en tir tendu ou semi-tendu » qui vous avait atteinte. Qu’espérez-vous de la suite de la procédure ?
Lorsqu’on a décidé de porter plainte, je ne m’attendais pas forcément à avoir un nom. Ce n’est pas tel ou tel gendarme le problème, mais bien l’institution tout entière qui est en cause. Les gendarmes ont eu la permission de tuer. Évidemment il faut aussi qu’individuellement ils répondent de leurs actes, mais ça ne change pas grand-chose pour moi. L’enquête de Mediapart et Libération montre que c’est bien l’institution qui doit aujourd’hui répondre de ses actes.
La gendarmerie et la police essaient de s’affranchir des lois.
Pourtant, se lancer dans une procédure judiciaire avait aussi comme but d’identifier la personne responsable de votre blessure, non ?
Pas nécessairement. Déposer plainte, se lancer dans une procédure juridique a permis l’enquête et donc, deux ans et demi après, que ces images sortent publiquement, pour montrer ce qu’il s’est passé ce jour-là. Cela permet de poser un cadre juridique sur des personnes qui s’en affranchissent délibérément. La gendarmerie et la police essaient de s’affranchir des lois. L’enquête judiciaire le montre bien : le matériel, les preuves existent, mais personne n’a été entendu en tant que suspect ! Alors que l’institution, à travers ses gradés, ses représentants – préfète, ministre de l’Intérieur – a cherché à tuer des individus au nom de ce qu’ils représentaient en tant que groupe.
Comment vous reconstruisez-vous, deux ans et demi après les faits ?
J’ai eu beaucoup de chance. Physiquement, je me suis bien remise. Psychologiquement, Sainte-Soline m’habitera toujours, cela fait partie de moi. Mais ce n’est pas traumatique, même si c’est un combat quotidien de ne plus avoir peur quand je croise la police. C’est très important pour moi d’en faire quelque chose de constructif. Donc je continue à lutter, il est hors de question que ce qu’il s’est passé ait raison de moi.
Depuis des années, les quartiers populaires sont les laboratoires de la répression.
Laurent Nuñez, actuel ministre de l’Intérieur, a annoncé l’ouverture d’une enquête administrative. Qu’en pensez-vous ?
Je ne sais pas exactement ce que cela implique. À chaud, je l’analyse comme une manière de montrer qu’il fait quelque chose mais on attend de voir les implications concrètes que cela va avoir. Je n’attendais rien de la justice, cela n’a pas changé. Et ça ne m’étonne pas qu’ils aient attendu la publicisation des images pour réagir. Ils attendent de ne plus avoir le choix pour assumer un dixième de leur responsabilité. C’est choquant, dans un État qui se dit de droit et qui prône la séparation des pouvoirs.
Pensez-vous qu’un point culminant de la répression a été atteint un Sainte-Soline ?
Honnêtement, non. Sainte-Soline a été un pallier qui s’inscrit dans une continuité. Si ces événements ont pu se dérouler, c’est qu’ils ont été préparés. Depuis des années, les quartiers populaires sont les laboratoires de la répression, malheureusement de manière moins médiatique et visible. Mais les moyens des forces de l’ordre augmentent d’année en année, les commandes d’armes aussi, donc ce n’est ni étonnant ni exceptionnel. Le principe politique est simple : que la gendarmerie ait le dernier mot, dans n’importe quel contexte, peu importe le prix.
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