Jean-Luc Mélenchon : « Nous sommes les plus forts à gauche »
Alors que le gouvernement échappe à un vote budgétaire et que le PS choisit la négociation, le leader insoumis dénonce une « comédie démocratique » et acte la rupture avec les socialistes. Sa stratégie : refonder une gauche de rupture, préparer les municipales en autonomisant La France insoumise et affronter les grands débats sur l’immigration, le syndicalisme, l’Ukraine, la Chine et le Proche-Orient.
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© Maxime Sirvins
Jean-Luc Mélenchon est ancien sénateur socialiste, ministre sous Lionel Jospin, il a fondé le Parti de gauche (PG) en 2008 puis La France insoumise (LFI) en 2016. L’ex-militant trotskiste et figure majeure de la gauche de la gauche s’est présenté trois fois à la présidentielle, obtenant 11 % en 2012, 19,5 % en 2017 et 22 % en 2022. Aujourd’hui, il copréside l’Institut La Boétie, un think tank adossé à LFI, aux côtés de la députée Clémence Guetté.
Le gouvernement de Sébastien Lecornu ne semble pas prêt à se soumettre au vote à l’Assemblée nationale sur son budget. De leur côté, les socialistes ont décidé de négocier. Quel regard portez-vous sur cette séquence politique ?
Jean-Luc Mélenchon : Qui pouvait croire Sébastien Lecornu, la main sur le cœur, déclarant lors de son discours de politique générale : « Le gouvernement vous proposera, nous débattrons, vous voterez » ? Le renoncement au 49.3 était une comédie. J’ai alerté dès octobre : nombreux sont les articles constitutionnels avec le même effet. La preuve est faite. À nos yeux, ce pouvoir est illégitime : Macron n’a pas respecté le résultat des législatives de 2024. Pour la classe médiatico-politique, ce viol de la démocratie est un événement comme un autre. Mais les insoumis s’opposeront toujours à un gouvernement constitué sur cette base.
Le PS a sauvé ce gouvernement au mépris des engagements pris devant nos électeurs.
Enfin, nous avons vu le Parti socialiste (PS) refuser la censure et opérer un changement d’alliance. Il a sauvé ce gouvernement au mépris des engagements pris devant nos électeurs dans le programme commun du Nouveau Front populaire (NFP)… Tout ça pour construire sa nouvelle alliance des centres dans l’assemblée actuelle. Tel est le tableau sans précédent dans notre pays.
La séquence budgétaire acte-t-elle le retour des deux gauches irréconciliables ?
Les socialistes avaient déjà refusé six fois de voter la censure contre François Bayrou. En sauvant Lecornu, ils poursuivent avec méthode leur objectif : ils veulent prendre la tête d’un nouveau bloc réunissant les socialistes, les écologistes, le Modem et ce qu’ils appellent la « Macronie de gauche » de Gabriel Attal, même si c’est une étiquette sans contenu politique. Ils ont rompu avec nous pour le faire. Cette rupture n’a pas eu lieu en 24 heures mais au fil des mois avec des pics.
Le premier : au moment des révoltes urbaines après la mort de Nahel en juin 2023. Ils ont relayé la droite qui nous accusait d’être responsables des violences. Le deuxième : ils nous ont éliminés de tout accord aux sénatoriales. Le troisième : pendant l’été 2024, ils ont bloqué toutes les propositions de premier ministre pendant dix jours pour tenter d’imposer déjà Olivier Faure. Après le 7 octobre 2023, ils se sont comportés comme des supplétifs de Netanyahou contre nous. Tout ça a été terriblement démoralisant.
À quoi bon spéculer sur les deux gauches irréconciliables ? Mieux vaut se poser la question : que signifie « être de gauche » en 2025 ? La gauche est née de la question de la souveraineté populaire. Comment le PS la défend-il en soutenant un gouvernement battu aux élections ? Aujourd’hui, le PS, comme presque toute la social-démocratie européenne, adopte une stratégie de grande coalition à droite, ralliée à la politique de l’offre, dans la continuité du quinquennat de François Hollande. Avant même d’aborder ces débats budgétaires, le PS a proposé 22 milliards de coupes budgétaires !
Nous sommes prêts à discuter et à travailler avec ceux qui assument la ligne de rupture.
Les insoumis l’assument : nous sommes voués aux humiliés, aux pauvres, aux opprimés, aux salariés, aux uberisés, aux gens qui vivent dans les cités populaires, à la jeunesse précarisée et à toutes les luttes contre les discriminations racialisées et sexistes. Et pour cela, le PS nous accuse de faire du clientélisme. Mais nous sommes nés pour être l’outil de ces luttes !
Quelles sont les conséquences de cette rupture ?
Nous avons proposé une « nouvelle fédération » avant la chute de Bayrou. C’est toujours notre ligne. Nous sommes prêts à discuter et à travailler avec ceux qui assument la ligne de rupture. Le rassemblement que nous avons réussi à construire, en 2022 et 2024, est majeur : pour la première fois de l’histoire de la gauche française, il y avait des candidats communs au premier tour des législatives. Pour nous, qui défendons la stratégie de la recomposition unitaire de la gauche, c’était une victoire décisive.
Cette formule avait dominé les recompositions de gauche dans le monde : Brésil, Chili, Brésil, l’Uruguay, Espagne, Grèce, et Allemagne… Tout ça est fini ici aussi. Il faut inventer autre chose désormais car il est prouvé que le PS ne respecte aucun accord. Il ne s’est pas contenté de rompre la recomposition unitaire de la gauche. Il est devenu radioactif tant il est détesté en milieu populaire. Et il a aggravé l’affaiblissement de la gauche tout entière en aidant la droite à construire un nouveau « cordon sanitaire » dont le seul but est de nous isoler et d’inclure le RN dans leur « arc républicain ».
Pour les municipales, quelles sont vos ambitions ?
En 2020, nous avons fait le pari de soutenir toutes les listes citoyennes qui surgissaient dans le pays. Ça n’a pas fonctionné. Entretemps, La France insoumise (LFI) a obtenu de très gros scores en 2022 dans les moyennes et les grandes villes. Notre mouvement s’est développé et s’est soudé partout. Nous serons présents avec près de 5 000 candidats dans 95 % des villes de 100 000 habitants et 75 % des villes de plus de 30 000 habitants. Le travail programmatique municipal est quasi bouclé. Les questions de la démocratie locale et des formes de la participation populaire vont être centrales dans nos campagnes. Le mouvement insoumis portera la tradition du municipalisme populaire.
C’est grâce à cette politique qu’ont été mis en place, dans les villes de gauche du siècle passé, les habitations à bon marché, les bibliothèques municipales, les piscines, l’information municipale, le quotient familial… Nous considérons que le local est la vitrine du projet national. Les villes insoumises seront des vitrines d’un modèle de bonheur populaire. Que pouvons-nous faire pour la garde des enfants, pour le logement, pour les écoles, les arts et les transports ? Nous voulons nous occuper de la vie simple de ces millions de gens abandonnés par tout le monde. Et ces classes populaires savent que nous sommes courageux, que nous ne lâchons rien.
Localement, avec qui souhaitez-vous faire alliance ?
Les écologistes veulent bien bavarder mais ils refusent un accord national. Les communistes ne proposent rien si ce n’est la reconduction des sortants. Les socialistes ont dit qu’ils ne voulaient pas des insoumis ni au premier ni au deuxième tour. Comment comptent-ils gagner sans nous ? Avec la droite ? Ils doivent le comprendre : nous n’accepterons pas d’être convoqués entre le premier et le second tour pour porter leurs valises. Toutefois, si nous sommes en tête au premier tour, nous proposerons à tous ceux qui veulent gagner avec nous, sans exclusive, de nous rejoindre. Si nous ne sommes pas en tête, nous aurons des discussions exigeantes car les autres ne nous inspirent pas confiance.
Pour la présidentielle, il n’y a rien de décidé me concernant. D’autres candidatures dans nos rangs sont disponibles.
Vous appelez toujours à une présidentielle anticipée. En cas de campagne express, vous porterez-vous officiellement candidat ?
Il n’y a rien de décidé me concernant. Mais contrairement à ce qui peut se raconter dans la classe politico-médiatique, je ne suis pas un gourou à la tête d’une secte. D’autres candidatures dans nos rangs sont disponibles. La mienne a toujours été le résultat de discussions et d’un vote interne. La procédure sera simple : la coordination de notre mouvement proposera un nom qui sera ensuite soumis à un vote. Cette procédure sera respectée en cas de présidentielle, anticipée ou non. Mais contre la personnalisation de la Ve République, nous mènerons une campagne collective. Et le mouvement insoumis profitera de ses nombreuses figures connues dans l’opinion publique.
Une chose est sûre : nous ne participerons à aucune primaire. D’ailleurs, la possibilité qu’elle ait lieu diminue à très grande vitesse. Au fond, ce système n’a aucun sens. Si cette primaire était gagnée par une candidature insoumise, tous ses concurrents s’en iraient aussitôt. À New York, le vaincu Andrew Cuomo s’est présenté contre Zohran Mamdani. À Seattle, même scénario. En 2017, Manuel Valls, François de Rugy, comme d’autres, n’ont pas soutenu Benoît Hamon. La seule chose qui intéresse les candidats actuels de ce type de processus, c’est la gloire sans le travail pour la mériter.
À gauche, les offres politiques sont nombreuses. Comment combattre la dispersion des voix ?
Nous l’avons déjà fait deux fois, en 2017 et en 2022, malgré les candidatures écologiste, socialiste et communiste. Nous avons réussi à rassembler. Et en 2022, il n’a manqué que 420 000 voix pour accéder au second tour. Nous allons donc essayer une troisième fois de vaincre cette dispersion. Il faut comprendre que nous sommes dans une nouvelle époque. Le monde où les partis agglomèrent des électorats au coup de sifflet n’existe plus. Nous allons faire campagne, nous allons défendre un programme, nous mènerons le combat. Et nous n’avons peur de rien.
Quand y a-t-il eu un candidat commun à la présidentielle à gauche ? Deux fois seulement au siècle passé, en 1965 et en 1974. Lors de la prochaine présidentielle, toutes les forces politiques seront traversées par une question de fond : faut-il défendre la ligne de la rupture ou pas ? Ceux qui le veulent se rassembleront. De notre côté, nous pouvons nous accorder plus facilement avec l’écologie radicale comme avec les communistes. Il est plus difficile de s’entendre avec des socialistes de l’aile radicale puisqu’elle n’existe pas pour l’instant.
Le récit politico-médiatique affirme très souvent qu’en cas de second tour face à l’extrême droite, vous perdrez. Comment comptez-vous inverser cette prédiction alors que le front républicain s’effrite, voire s’inverse, faisant de vous et votre mouvement la figure repoussoir numéro 1 ?
Cette petite musique sert à renforcer l’ennemi, elle cherche à nous disqualifier alors que nous sommes les plus forts à gauche. Ils peuvent bien affirmer que je suis « clivant ». C’est vrai heureusement. Mais qui a déjà recueilli 22 % des voix ? Aujourd’hui, dix-huit mois avant l’élection présidentielle, l’extrême droite nous devancerait de 20 points ? Comme en 2022 ! Mais dans l’élection, un seul point nous a finalement séparés ! Il serait donc bon de ne pas faciliter le travail des sondages manipulatoires. Ce qui comptera, c’est l’opiniâtreté et la discipline au combat.
Ils peuvent bien affirmer que je suis « clivant ». C’est vrai heureusement. Mais qui a déjà recueilli 22 % des voix ?
Chaque jour qui passe, nous continuons à aller dans les endroits où se trouvent les électeurs qui feront la différence. Tout le temps. Sans pause, sans trêve. Si 1,5 million de gens en plus dans les quartiers populaires se mobilisent lors de la prochaine présidentielle, nous gagnerons. Nous sommes le mouvement du peuple. Nous savons qui nous voulons rassembler et pour qui nous faisons campagne. Et si ça ne marche pas, que les donneurs de leçon fassent mieux ! Les peuples ont les dirigeants qu’ils choisissent. Si les Français décident de passer au fascisme, au racisme, ce sera leur décision. Mais nous menons et nous mènerons de toutes nos forces le combat pour les en dissuader.
Nos concurrents se contentent de pleurnicher et de mendier le soutien de la caste médiatique. Dans le pays, la vague dégagiste est levée. Les gens n’en peuvent plus. Après ce budget, ce sera encore pire, malgré les prétendues « grandes victoires » du PS qui sauvent le gouvernement Lecornu. Les gens vont s’en rendre compte. Aujourd’hui, qui a tenu bon ? Nous ! Et qui d’autre ? Je fais confiance à l’intelligence populaire… Mieux vaut faire ainsi que d’être embarqué avec des gens qui n’ont pas de parole, qui signent un programme et font le contraire le lendemain. Comment inspirer confiance en telle compagnie ?
Vous êtes un partisan de la rupture avec la charte d’Amiens, qui affirme l’indépendance des syndicats à l’égard des partis politiques. Cette position agace les syndicats qui vous accusent parfois d’avoir une volonté hégémonique sur le mouvement social. Qu’avez-vous à leur répondre, et notamment dans la perspective de construire une grande mobilisation ?
Nous subissons une situation qui aggrave les difficultés de la gauche politique. C’est la faiblesse dans les entreprises, le syndicalisme est réprimé, le chômage est une menace qui effraie. Le rapport de force est dur à tenir pour les syndicalistes. Le mouvement insoumis ne peut avoir une assise ferme sans un mouvement syndical fort dans le pays. Mais pourquoi nous refuse-t-on par principe une coordination de l’action ? En restant chacun dans son couloir, nous ne pouvons pas gagner alors que les militants politiques sont souvent aussi syndicalistes.
La séparation artificielle entre le mouvement syndical et les militants politiques est un boulet.
Concernant le mouvement contre les retraites en 2023, 91 % de la population était contre cette réforme. Mais le mouvement social s’est soudainement arrêté. Pourquoi ? Cela n’a jamais été discuté. Des dirigeants syndicaux nous ont même appelé directement pour nous pousser à retirer tous nos amendements pour accélérer la discussion et aller au vote sur la mesure de l’âge de départ à 64 ans (article 7). La charte d’Amiens ne serait-elle valable que dans un sens ? Les syndicats auraient-ils le droit de nous dire ce que nous devrions faire, mais la réciproque ne serait pas vraie ?
Encore récemment sur le décalage de trois mois de la réforme des retraites, notre combat parlementaire contre cette combine a été freiné par le comportement initial des syndicats. Ils ont été trop prompts à soutenir la prétendue « suspension » avant de se rendre compte de la réalité. Pourquoi le mouvement insoumis prétendrait-il diriger le mouvement syndical ? Nous voulons pouvoir donner notre avis sur l’action. Et, à chaque fois, nous sommes repoussés au nom de cette charte. Le jour où les syndicats appliqueront le programme de la charte d’Amiens, c’est-à-dire la grève générale révolutionnaire pour préparer la gestion coopérative de l’économie capitaliste, nous les suivrons sans condition.
En attendant, nous avons besoin de coalition amicale dans l’action. La séparation artificielle entre le mouvement syndical et les militants politiques est un boulet. Surtout quand les militants sont souvent les mêmes. Si nous avions été écoutés pendant la lutte sur les retraites, nous aurions pu expliquer pourquoi c’était une erreur d’aller au vote. Il était très important que la réforme des retraites n’ait pas de légitimité. Et, aujourd’hui, si elle n’en a aucune, c’est grâce à notre tactique.
Aux États-Unis comme en Europe, les frontières se durcissent, qu’elles concernent les personnes ou les marchandises. Comment l’analysez-vous ?
La question des frontières ne peut pas être séparée de la crise du capitalisme, le mode de production de tous ces territoires. Nous sommes partisans d’une conférence permanente sur les frontières. Et il existe un cadre pour cela : l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE). Les Russes en faisaient partie. Mais ils en ont été exclus. C’est une erreur. Le second élément décisif est la politique de Donald Trump. En durcissant les frontières douanières, il a tourné la page de 40 années de néolibéralisme fondamentaliste.
La France est la seule nation d’Europe où une gauche radicale peut accéder au pouvoir dans un pays central du capitalisme.
Nous vivons donc un moment où l’ancien monde se disloque. Les États-Unis n’en sont plus les maîtres. Car la première industrie manufacturière mondiale, c’est la Chine. Tout s’est brouillé : des communistes vous expliquent qu’ils sont pour le libre-échange, et des capitalistes qu’ils sont pour la production nationale. Le monde s’est renversé et il n’y a pas de projet alternatif sur la table. Dans ce contexte, le rôle de la France est important. En effet, c’est la seule nation d’Europe où une gauche radicale peut accéder au pouvoir dans un pays central du capitalisme.
En France, l’obsession de la droite et de l’extrême droite porte sur l’expulsion des étrangers. Si vous arrivez au pouvoir, que faites-vous de cette question, notamment en ce qui concerne les obligations de quitter le territoire (OQTF) et les centres de rétention administrative ?
Avant d’expulser, nous devons nous préoccuper du reste. D’où viennent tous ces gens ? Notre premier but, c’est qu’ils n’aient pas besoin de partir de chez eux. Deuxièmement, nous ne pouvons pas considérer l’expulsion comme une politique d’immigration. Cette idée est un fantasme. La Grande-Bretagne a serré tous les écrous. Résultat : 660 000 personnes de plus. Il faut être raisonnable.
D’abord, il faut rendre la vie moins inhumaine pour les gens qui sont arrivés sur notre territoire : nous devons faciliter les régularisations. Car l’État produit de l’illégalité en refusant de mettre à jour les papiers dans les délais, en infligeant des conditions d’obtention des renouvellements qui sont une honte et qui, en plus, n’aboutissent pas. Il faut que ce système cesse. Mais il faut surtout un renversement complet de notre compréhension du monde. Cette nouvelle lecture est délicate car le système politico-médiatique a chauffé à blanc l’opinion publique en martelant que l’immigration est un danger, qu’elle est la cause des homicides, des viols et de toutes ces choses abominables. Pour nous, l’immigration reste un atout.
Depuis octobre 2023, les insoumis se mobilisent beaucoup sur l’impérialisme et le colonialisme israélien en Palestine. Considérez-vous aussi que la Russie est un État impérial, compte tenu des différentes invasions des pays limitrophes ?
L’usage des mots, et notamment celui d’impérialisme, n’est pas si simple. Je ne sais pas s’il s’applique à Israël. Je me contente des faits : envahir le voisin est inacceptable et nous le combattons. Nous ne pouvons pas laisser violer les frontières et régler les conflits par la force. Le mouvement insoumis se réfère toujours au droit international, c’est la base sur laquelle notre internationalisme se vit. Cependant, avoir relégué la Russie après la chute de l’URSS est une erreur absolue. Cette erreur a été commise sous la pression des États-Unis qui avaient intérêt à affaiblir l’Europe.
Le principal problème que nous avons avec la Russie, c’est que la question des frontières (…) n’a jamais été discutée nulle part.
C’est pourquoi en 2008 et en 2014, quand l’Otan a décidé que la Géorgie et l’Ukraine pourraient y entrer, nous avons réagi en disant : « Si vous faites ça, ce sera la guerre ! » Parce que la Russie ne pourra jamais accepter d’être encerclée. Le principal problème que nous avons avec la Russie, c’est que la question des frontières, après l’effondrement de l’Empire soviétique, n’a jamais été discutée nulle part. La Crimée était un territoire russe avant que le Parti communiste de l’URSS ne décide de la rattacher à l’Ukraine. Et cette question des frontières se posera encore de bien des façons aux limites de l’ancien empire soviétique.
Pour le moment, il faut que les Russes évacuent l’Ukraine. Et je voudrais pointer du doigt ceux qui, de manière irresponsable, n’ont pas voulu discuter des garanties mutuelles de sécurité. Si vous ne vous accordez pas sur des garanties mutuelles de sécurité entre ennemis, avec qui voulez-vous les discuter ? Cela concerne l’Union européenne (UE). Elle doit exiger l’interdiction des missiles de moyenne portée parce que nous en sommes la cible. Et il faut résoudre ces questions : qui déminera la mer Noire ? Qui déminera l’Ukraine ? Qui garantira la sécurité des centrales nucléaires ? Enfin, la liquidation de la guerre avec la Russie ne se limite pas aux relations entre l’Ukraine et la Russie, elle implique aussi les frontières polonaises et hongroises.
En ce qui concerne la Chine, vous avez été accusé de complaisance avec ce régime. Que répondez-vous ? Et comment qualifieriez-vous ce régime ?
De quoi ne suis-je pas accusé par les agents des États-Unis et de Netanyahou ? La Chine est un régime d’économie mixte. L’article 1 de sa Constitution dit qu’il s’agit d’« une dictature démocratique populaire ». En quoi ça consiste ? Je suppose qu’il s’agit, pour eux, de la « dictature du prolétariat ». Je vous renvoie au texte de Marx sur le sujet pour le vérifier. Néanmoins, il ne faut pas être stupide et croire qu’une police politique contrôle 1,4 milliard de personnes. Aucun pays n’en serait capable. Le nationalisme chinois est le plus puissant liant de ce pays.
L’ONU n’accuse pas la Chine de génocide sur les Ouïgours… Voilà pourquoi je dis que ce n’en est pas un.
La seule question que nous devons nous poser, c’est de savoir ce que nous voulons faire avec la Chine. Et moi, je vous réponds : nous ne ferons pas la guerre aux Chinois. Par ailleurs, la Chine a proposé un traité mondial de désarmement nucléaire. Je suis pour. Elle a proposé un traité mondial pour une monnaie commune. Je suis pour. La Chine a proposé une organisation internationale de l’intelligence artificielle. Je suis pour. C’est le seul pays à proposer ça. Est-ce que cela fait de moi un « agent » chinois ? Si nous gouvernons la France, nous le ferons avec des partenaires. Il faut une coopération active avec la Chine.
Vous avez dénoncé le génocide à Gaza. Qu’en est-il des Ouïgours ?
Le mot de génocide est d’une très grande gravité. La qualification génocidaire concernant Gaza vient d’organismes internationaux. J’étais présent lorsque la Cour internationale de justice de l’ONU à La Haye a présenté les cinq critères qui font passer d’un crime de guerre à un génocide. Quatre de ces points étaient présents dans les actes du gouvernement de Netanyahou et son intention génocidaire était affirmée. Il faut toujours peser les mots pour savoir quoi faire, en proportion. S’agissant des Ouïghours, nous n’approuvons aucun mauvais traitement des minorités ethniques quand il s’en présente. Mais que disent les institutions internationales ? L’ONU n’accuse pas la Chine de génocide… Voilà pourquoi je dis que ce n’en est pas un. Nous ne voterions donc pas davantage aujourd’hui le texte de la droite évoquant un génocide sur lequel nous nous sommes abstenus. Le droit international reste notre boussole constante.
Ces dernières semaines, Emmanuel Macron a rencontré deux fois Mahmoud Abbas, président de l’Autorité palestinienne. Comment analysez-vous la position du président de la République depuis la reconnaissance de la Palestine et le cessez-le-feu, régulièrement violé par Israël ?
Emmanuel Macron a pris du temps, mais il a fini par rallier notre position répétée chaque semaine à l’Assemblée nationale durant les séances de questions d’actualité au gouvernement. Le point de départ pour arrêter le génocide, c’est de montrer à Netanyahou que tout ne lui est pas permis. Il croyait se débarrasser des Palestiniens. Résultat : les États sont de plus en plus nombreux à reconnaître un État palestinien. Les trois quarts des pays du monde et presque la moitié de l’Union européenne le reconnaissent.
Être protagoniste d’une guerre avec un pays nucléaire, ce n’est pas du pareil que d’aider à défendre une frontière au Moyen-Orient.
Macron a bien fait de recevoir Mahmoud Abbas. Néanmoins, nous devons interroger : pourquoi ne fait-on pas voter les Palestiniens ? Une élection est moins compliquée à organiser qu’une guerre. Gaza va être soumise à un nouveau mode d’administration sans que les Palestiniens se prononcent sur le sujet. Nous voilà revenus à l’époque du colonialisme le plus vulgaire. La reconnaissance de l’État palestinien est une étape. Mais cette guerre serait instantanément stoppée si les États-Unis et l’Europe n’armaient pas Netanyahou. Le président de la République devrait donc mettre fin à la coopération commerciale et militaire avec lui. Quand nous gouvernerons notre pays, aucune livraison d’armes ne lui sera autorisée.
Et puis la guerre n’est pas finie : le Liban est bombardé comme Gaza. Et la France ne fait rien ! Le Liban doit rester autonome et indépendant. C’est une nation amie. Il faut aider l’armée libanaise à être une armée régulière capable de défendre ses frontières. Après ça, vous pourriez me demander : « Comptez-vous armer l’Ukraine ? » D’abord, c’est déjà fait. Ensuite, ce n’est pas la même chose. Être protagoniste d’une guerre avec un pays nucléaire, ce n’est pas du pareil que d’aider à défendre une frontière au Moyen-Orient.
Israël aussi a la bombe nucléaire. Grâce à la France d’ailleurs…
Je ne crois pas que Netanyahou ait les moyens, ou l’envie, de mener une guerre nucléaire avec la France. Mais nous demandons la dénucléarisation de toute la zone, de l’Iran à Israël, en passant par le Liban, la Syrie et les pays du Golfe. L’humanité entière a intérêt à en revenir au traité de non-prolifération nucléaire.
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