Rentrée tout terrain

Pendant que son service des sports mise sur l’hyperbole, France Télévisions tente de remonter la pente d’un audimat en berne. En ajoutant de la publicité et en remaniant la rédaction.

Jean-Claude Renard  • 6 septembre 2007 abonné·es

Ça n’a pas loupé. France Télévisions a remis le couvert fin août pour les Championnats du monde d’athlétisme, disputés à Osaka, au Japon, sur fond de chanson de Zazie, « Pour la beauté du geste ». Grand déploiement de journalistes, grande couverture d’antenne tous les jours (plus de huit heures). Avec Patrick Montel en tête d’affiche journalistique, qui est à l’athlétisme ce que Gérard Holtz est au vélo. À chaque compétition internationale, il est là, épaulé par Nelson Monfort. Comme il y a deux ans à Helsinki, comme il y a un an à Göteborg, comme ce sera le cas à Pékin en août 2008 pour les Jeux olympiques.

À chaque fois, le même traitement journalistique. On encense, on s’enthousiasme. Montel hurle, aboie. Ici, « une course exceptionnelle » ou « pas comme les autres » , « du jamais vu » et « chaud bouillant » , là « un 3 000 de folie » , là encore « le concours le plus relevé » . Un ruban d’hyperboles. Sans scrupule, sans interrogation. Il y a deux ans, au sortir de la course triomphante sur cent mètres de l’Américain Justin Gatlin, Montel et Monfort s’étaient enthousiasmés sans mesure. Quelques mois plus tard, le sprinter tombait pour dopage. De pleins paquets comme ça, à se faire choper la main dans la glacière (gavée de poches de sang) ou sur la seringue. Aujourd’hui, Tyson Gay sur cent et deux cents mètres vaut bien les vivats de journalistes.

Mais peu importe, on prend les mêmes et on recommence. Et on ne remet pas en question son travail. Si un athlète est pris, les journalistes évoquent à peine le cas, se félicitent que les instances aient pu rattraper un tricheur. Et retour à la compétition. Qui évolue dans le sublime. Et force sponsors ­ sans quoi la compétition n’aurait pas lieu. Là-dedans, à boire jusqu’à la lie, il faut rester attentif aux commentaires pour connaître la nationalité des athlètes. Leur dossard les transforme en hommes-sandwichs. Quand le couplet sur les Championnats du monde d’Osaka est terminé, France 2 enchaîne sur une autopublicité : « France 2 Foot ». Le magazine dominical consacré au foot, arraché à TF 1 en cette rentrée pour la somme de 24,5 millions d’euros, pour une seule année de championnat (ligues 1 et 2). Supplantant vingt-cinq ans de « Téléfoot » à la chaîne privée. Même pour qui déteste le ballon rond ou se désintéresse du foot, il faut voir au moins une fois quelques minutes de « France 2 Foot » pour comprendre où passe et où se passe la redevance. Un journaliste gominé formé à l’école de la spectacularisation sans réflexion de Canal +, une mise en scène en transe de pontification, un générique pataud, quelques notes de musique enlisée dans l’ineptie. Du très mauvais boulevard au verbe pauvre. Pour le service public, ça vaut 24,5 millions d’euros.

Voilà qui expliquerait pourquoi Patrick de Carolis, PDG de France Télévisions, demande à l’Élysée le droit à une coupure publicitaire dans les émissions de variétés, de divertissement et dans les magazines. Somme espérée : entre quarante et cinquante millions d’euros ­ mais trop modique, ça couvrirait tout juste « France 2 Foot » et le Tour de France
[^2]
. Dépenses à bon escient en perspective…

Faut-il voir dans « France 2 Foot » un moyen de redorer le blason de France Télévisions en termes d’audience ? Car pendant que les blondes (Claire Chazal, Anne-Sophie Lapix) se tirent joyeusement la bourre dans l’audimat sur le JT de TF 1, les journaux de France 2 ont dégringolé dans les trois derniers mois [^3]
.

Pour muscler son 20 heures, Arlette Chabot, directrice de l’info sur France 2, a chargé Thierry Thuillier, présentateur du magazine géopolitique « Un oeil sur la planète », de mettre son nez dans la rédaction. Il faut bien faire quelque chose pour sortir de la crise. France 2 annonce ainsi un peu plus de poids en images sur l’environnement et l’Europe. Et un rapprochement des services culture et société. Arlette Chabot estime là qu’il ne s’agit pas « de faire moins de culture, mais d’en faire autrement » . Évidemment. Comme le foot est une affaire de culture et de société, ça promet quelques sujets. Itou pour le festival de l’andouillette de Vire. Comme dit Montel, ce sera « chaud bouillant » .

[^2]: TF 1 et M6 voient cette coupure publicitaire d’un très mauvais oeil. Mais si on l’accepte à l’Élysée, on se fera fort d’offrir une compensation aux amis du privé.

[^3]: Autour de 19 % contre 39 % à TF 1.] ­ à juste titre, dirait-on, au regard du traitement de l’information (voir Politis n° 949 et 952) par David Pujadas et Élise Lucet, cette dernière récemment chevalier de l’ordre national de la Légion d’honneur, comme quoi, un certain sens du devoir se paye de l’endroit de la médaille [[Tout comme Christine Ockrent (France 3), élevée au grade d’officier, décorée directement par… Bernard Kouchner, et chargée d’un nouveau magazine politique, le dimanche soir, à compter du 23 septembre, « Duel sur la 3 ».

Médias
Temps de lecture : 4 minutes