Le discours de la honte

Des associations de défense des droits de l’homme s’indignent des propos de Nicolas Sarkozy sur les « libertés » tunisiennes,
et rappellent l’oppression qui pèse sur le pays.

Karine Gantin  • 8 mai 2008 abonné·es

« Aujourd’hui, l’espace des libertés progresse » en Tunisie. Les propos de Nicolas Sarkozy, en visite officielle à Tunis à un an d’importantes échéances électorales dans ce pays, ont provoqué un tollé non seulement parmi les défenseurs des droits de l’homme, mais aussi à travers une presse française quasi unanime. Selon Michel Tubiana, président d’honneur de la Ligue des droits de l’homme (LDH), le président de la République a fait preuve d’un « déni de réalité » : *« Il commet là une faute politique grave : outre le scandale intellectuel et moral que représente une telle affirmation, il ne dispose plus d’aucune marge de manœuvre politique après de tels propos pour agir effectivement sur le dossier des droits de l’homme. »
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Illustration - Le discours de la honte


Lors du forum économique franco-tunisien, le 29 avril. Belaid/AFP

Le développement économique de la Tunisie, son faible taux d’analphabétisme, le statut avancé de la femme sont souvent mis en avant pour justifier le régime de Ben Ali. Or, les organisations internationales des droits de l’homme, de Human Rights Watch à Amnesty International et l’Association des chrétiens pour l’abolition de la torture (Acat), en passant par la Fédération internationale des droits de l’homme (FIDH) ou le Comité pour le respect des libertés et des droits de l’homme en Tunisie (CRLDHT), s’accordent au contraire sur la gravité de la situation tunisienne : absence de presse indépendante autorisée, partis d’opposition interdits d’existence légale ou bien de présentation de candidats aux élections, procès expéditifs d’opposants par des juges soumis au pouvoir, consultations électorales truquées, harcèlements, brimades et vexations à l’encontre des militants de la société civile, emprisonnements iniques et tortures…
La Tunisie compterait, selon l’Acat, plus de mille prisonniers politiques. Le rédacteur en chef et le directeur d’Al-Mawkif, journal du PDP, parti d’opposition légal, sont en grève de la faim depuis le 26 avril pour protester contre des « saisies répétées » du journal et des manœuvres d’intimidation multiformes. En février, Fatma Ksila, secrétaire générale du CRLDHT (dont le siège est en France), s’est fait agresser par des policiers, avec Samia Abbou, sa collègue de l’Association tunisienne de lutte contre la torture. Les deux femmes effectuaient une mission d’enquête auprès des familles de victimes de la torture…

Michel Tubiana et Amina Bouayach, présidente de l’Organisation marocaine des droits humains (OMDH), se sont vus, quant à eux, signifier en avril une interdiction d’entrée en Tunisie alors qu’ils s’apprêtaient à s’y rendre en mission pour la FIDH. Cette organisation est une cible privilégiée du régime tunisien, notamment depuis que la présidence en est revenue à la Tunisienne Souheyr Belhassen, objet elle-même de calomnies incessantes. Depuis Tunis, elle s’insurge contre les propos, jugés injurieux, de Nicolas Sarkozy sur les libertés tunisiennes. Elle proteste contre l’impossibilité pour son organisation de travailler, et témoigne d’un « musellement » de la société. Elle dénonce enfin le déploiement policier impressionnant dans le bassin minier de Gafsa, lors du vaste soulèvement populaire qui a débuté en janvier dans le Sud, et la répression d’avril qui s’est ensuivie : « La violence déployée par les forces de l’ordre à Gafsa évoque Gaza » , dit-elle.

Le nouveau contexte international de la lutte antiterroriste vient aujourd’hui à point nommé pour offrir des justifications nouvelles à ce régime étouffoir. Dans l’affaire dite du « groupe de Soliman », la FIDH, la LDH, le barreau de Paris et le CRLDHT ont ainsi dénoncé, en février, un procès inique entouré de forte opacité. Ce procès est lié aux confrontations armées avec les forces de l’ordre au sud de Tunis il y a un an, qui se seraient soldées par la mort de douze personnes. La torture aurait été pratiquée systématiquement sur les prévenus, qui avaient dénoncé, en octobre dernier, des conditions inhumaines de détention par une grève de la faim.
Selon Kamel Jendoubi, président du CRLDHT, la phrase de Nicolas Sarkozy sur les libertés tunisiennes s’inscrit dans le droit fil du discours de Dakar et ne peut que raviver les colères d’un Sud qui en a assez du « deux poids deux mesures » et d’attitudes jugées méprisantes et néocoloniales. « C’est discréditer toute idée d’universalisme et donc renforcer l’islamisme politique comme alternative crédible » , renchérit Michel Tubiana. Pour Kamel Jendoubi, *« l’Union pour la Méditerranée de Sarkozy, qui avait déclaré qu’il serait le président des droits de l’homme, s’est singulièrement rétrécie au lavage ».
* Karine Gantin

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