Brèves de comptoir

Denis Sieffert  • 25 juin 2009 abonné·es

Certes, Nicolas Sarkozy n’est pas le premier locataire de l’Élysée à vouloir nous faire prendre des vessies pour des lanternes. En 1995, son prédécesseur, en quête d’un premier mandat, nous avait fait le coup fameux de la « fracture sociale », qu’il allait en toute hâte résorber. Quant au précédent, il avait élevé l’ambiguïté au rang d’un art. Il y avait chez Chirac comme l’apparence de sincérités successives. Et chez Mitterrand, une fascinante esthétique du mensonge. Avec Sarkozy, ne restent plus que de très grosses ficelles. Lundi, sous le décorum ruineux d’un Congrès réuni en grande pompe, ce n’était même plus l’héritier revendiqué du Versaillais Adolphe Thiers, dont les monarchistes redoutaient tant l’art oratoire, c’était Monsieur Prudhomme enfilant péniblement ses perles. La crise ? « Nous devons tout faire pour qu’elle se termine le plus vite possible. » La rigueur ? « La politique de rigueur a toujours échoué. » La burqa ? « Elle n’est pas la bienvenue sur le territoire de la République. » La religion musulmane ? « Elle doit être autant respectée que les autres religions. » La prison ? « Elle ne doit pas être dégradante. » L’Europe ? « La France change […], l ’Europe doit changer aussi. » Il suffirait de retourner chacune de ces affirmations, et de leur opposer leur contraire, pour voir que nous avons eu là un festival de truismes. Imaginons un Président qui souhaiterait que la crise dure plus longtemps ou qui accueillerait avec enthousiasme la multiplication des burqas « sur le territoire de la République »…

Parmi toutes ces pépites d’audace et d’originalité qui figurent dans la partie générale du discours présidentiel, il n’y en a guère qu’une seule qui n’ait pas produit sur nous l’effet d’une évidence. La toute première. Quand le Président a jugé sa propre allocution : « C’est un moment important », a-t-il dit. À 16 heures, lorsque la limousine noire a repris le chemin de l’Élysée, on en doutait sérieusement. En un rien de temps, le faste, déjà contestable une heure plus tôt, avait tourné à l’absurde. Il est vrai qu’il aurait fallu pour soutenir le défi de cette énorme mobilisation politico-médiatique un chef-d’œuvre d’éloquence ou l’annonce d’un véritable tournant politique. Il est rare en effet que les roulements de tambour précèdent des brèves de comptoir. Nous laisserons aux sémiologues le soin de recenser les mots qui évoquent le « changement » ou le « mouvement » dans un discours qui n’a finalement délivré qu’un seul message : on continue comme si rien ne s’était passé. La même politique, les mêmes contre-réformes entreprises avant la crise seront menées à bien. Car, évidemment, sous cette chape de banalités, il y a tout de même de la politique. Laissons ici la burqa, qui, si MM. Sarkozy et Gérin (le maire communiste de Vénissieux, à l’origine de ce débat) s’y prennent bien, devrait constituer le « grand sujet » de la rentrée. Le sujet que la France, en pleine crise sociale, a urgemment besoin de régler. Et notons que sur tous les autres points Nicolas Sarkozy n’a fait que confirmer ses orientations néolibérales.

La seule surprise vient finalement de cet emprunt d’État annoncé pour financer des « priorités » dont on ne sait rien. Michel Soudais nous dit un peu plus loin dans ce journal (voir pages 8 et 9) comment se terminent généralement les histoires d’emprunts quand l’heure vient de les rembourser. Et qui est le dindon de la farce. En attendant, servira-t-il à financer le contrat de transition professionnelle auquel le Président a fait allusion en promettant à « tout licencié économique » qu’il garderait son salaire pendant un an ? Un dispositif aujourd’hui tout à fait marginal et qui s’accompagnerait de reclassements autoritaires. On ne sait pas. L’emprunt, c’est en tout cas la promesse d’un surendettement de l’État alors qu’il n’est jamais question dans le discours présidentiel d’élargir l’assiette des impôts, ni de taxer les transactions financières, ni bien sûr de remettre en cause le bouclier fiscal. Toutes choses qui supposeraient un autre partage des richesses. Si la politique néolibérale de Nicolas Sarkozy ne bouge pas d’un iota, c’est l’emballage qui change. L’exaltation du « modèle français » , la « revalorisation de la valeur travail » sont autant d’écrans de fumée. On sait, par exemple, depuis longtemps que « revaloriser le travail », ce n’est pas pour Nicolas Sarkozy augmenter les salaires ou améliorer le pouvoir d’achat, ni toucher à la répartition capital-travail ; c’est augmenter les heures et les années de travail… Tout le contraire de ce que cela suggère.

Dans son allocution versaillaise, le président de la République en a même appelé aux mânes du Conseil national de la Résistance. C’est-à-dire au programme qui a porté au plus haut les valeurs de service public. À ce niveau d’effronterie et, il faut bien le dire, d’imposture, et quand le discours est à ce point contredit par les actes, nous ne sommes plus dans la marge ordinaire du mensonge politique ; nous sommes dans une crise profonde de la démocratie. Face à cela, le parti socialiste, qui avait finalement choisi de garnir religieusement l’audience, a encore perdu une bonne occasion d’être clair. Mais là non plus il n’y a rien de très nouveau.

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Une analyse au cordeau, et toujours pédagogique, des grandes questions internationales et politiques qui font l’actualité.

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