Les arrière-pensées d’une promotion

C’est avec Marine Le Pen que France 2 a prévu de lancer sa nouvelle émission politique en prime time. Un choix qui ne déplaît pas à l’Élysée, bien au contraire.

Michel Soudais  • 19 mai 2011 abonné·es
Les arrière-pensées d’une promotion
© Photo: AFP / Guillot

Les ennuis judiciaires de Dominique Strauss-Kahn n’ont pas que des inconvénients. France 2 a décidé de reporter le lancement de son nouveau rendez-vous politique, « Des paroles et des actes », prévu ce jeudi 19 mai, pour le remplacer par une émission spéciale sur l’affaire new-yorkaise et ses conséquences. Marine Le Pen devait être la vedette de cette nouvelle émission animée par David Pujadas. C’était la deuxième fois en cinq mois que la fille de Jean-Marie Le Pen était l’invitée à une heure de grande écoute de la chaîne de service public. Cette invitation, qui n’est que reportée, relance le débat sur « la mansuétude dont bénéficie Marine Le Pen »  [^2] dans les médias et les soupçons d’instrumentalisation du FN au bénéfice de l’Élysée.

Elle est d’autant plus surprenante que la présidente du FN a bruyamment annulé, le 9 mai, sa participation à l’émission « Complément d’enquête » de Benoît Duquesne, programmée le soir même sur France 2. Dans un communiqué expliquant son refus d’apparaître sur le plateau, elle incriminait le titre de l’émission, « La tentation de l’extrême droite », qui, selon elle, « ne peut en aucun cas s’appliquer à […] la montée du Front national […] et les changements induits par [sa] nouvelle présidence » . À la fin des années 1990, son père aussi refusait « qu’on associe le terme “extrême droite” » à son parti. Des procès avaient été engagés contre quelques journaux qui refusaient de se soumettre à ce diktat ; le FN les a tous perdus.
Outre son titre, Marine Le Pen reprochait à l’émission son « sommaire scandaleux » en raison de la diffusion d’un reportage « consacré au phénomène des skinheads et autres néofascistes » avec qui, selon elle, le FN n’a « aucun lien, ni humain ni idéologique » . Enfin, elle menaçait de poursuivre la chaîne en cas de « diffamations y compris par insinuation ». Ces manières n’ont pas dissuadé France 2 d’inaugurer avec elle « Des paroles et des actes ».

Le socialiste Vincent Peillon n’avait pas bénéficié d’autant de ­bienveillance. Le 14 janvier 2010, il avait annulé in extremis sa participation à « À vous de juger », refusant de jouer les utilités dans une émission consacrée au débat sur l’identité nationale où le ministre en charge de la question, Éric Besson, était opposé à… Marine Le Pen. Furieuse du lapin que lui avait posé le député européen, Arlette Chabot avait fait savoir que cet insolent, qui osait demander s’il appartenait bien au service public de relayer ainsi un débat nauséabond du gouvernement, serait puni un moment. On n’a plus vu Vincent Peillon sur France 2 pendant un an. Jusqu’au départ de sa directrice de l’information.

Rien de tel avec Marine Le Pen. Considérée comme une « bonne cliente », la benjamine des filles Le Pen est appréciée de la chaîne publique depuis 2002, époque où Arlette Chabot ne manquait pas une occasion d’inviter dans ses émissions cette femme politique, qu’elle avait repérée comme un chasseur de têtes déniche la perle rare qui augmentera les plus-values de la société de son client. Mme Chabot a quitté France 2, mais l’équipe de « Des paroles et des actes » est la même que celle qui décidait du casting d’ « À vous de juger ».

S’il est difficile d’affirmer que la promotion de Marine Le Pen est orchestrée, au moins peut-on affirmer qu’elle ne déplaît pas à l’Élysée. Dans une séquence de l’émission « Complément d’enquête », un « proche » de Nicolas Sarkozy décryptait ainsi au téléphone, sous couvert d’anonymat, la stratégie élaborée par Patrick Buisson, son conseiller opinion venu de l’extrême droite : pour assurer la réélection du chef de l’État dans une conjoncture économique et sociale défavorable, il faut créer « dans l’esprit public des stress complémentaires sur les sujets immigration, sécurité » pour en faire « une marotte, une obsession » pendant la campagne, et ainsi éliminer la gauche du deuxième tour. Quitte à pousser Marine Le Pen en tête au premier tour.

À force de mettre en avant les prétendues innovations de la patronne du FN, une grande partie des médias favorisent cette sombre perspective. Un exemple : le 24 avril, le Journal du dimanche consacrait sa une et trois pages au « plébiscite ouvrier » dont bénéficierait Marine Le Pen puisque, « selon une enquête de l’Ifop, elle recueillerait 36 % des voix chez les ouvriers » . Un chiffre repris partout depuis. Or une petite précision de la commission des sondages publiée en page 7 du JDD du 15 mai révèle qu’il ne provenait pas d’ « un sondage en tant que tel » mais d’un «  sous-échantillon » de… 148 personnes. Espérons que la future émission de France 2 permette au moins d’en finir avec la fable d’un FN parti des ouvriers. Il n’est pas interdit de rêver.

[^2]: Dixit Alain Duhamel dans le Point (12 mai).

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