Les Têtes de chien : Cinq musiciens forts à l’oral

Les Têtes de chien revisitent la chanson traditionnelle française en polyphonie.

Lorraine Soliman  • 15 novembre 2012 abonné·es

La découverte des Têtes de chien s’accompagne d’un trouble magnétique qui vous emporte vers des contrées lointaines et familières. Vous connaissez sans connaître, ou plutôt vous croyez reconnaître dans cet univers très attachant quelque perle rare d’une enfance perdue. Deux basses, deux ténors, un baryton, cinq belles voix d’hommes modulent la France d’avant dans un esprit de tous les temps. «   Nous ne sommes pas à proprement parler des musiciens traditionnels, héritiers directs d’un patrimoine qui nous aurait été chanté par notre entourage familial, explique Justin Bonnet, le directeur artistique. Nous sommes tous des chercheurs de musique traditionnelle. Nous sommes allés voir ce qui se tramait dans ce répertoire avec un œil frais, prêts à être étonnés de la beauté poétique de ces textes.  » Cette musique qui n’appartient à personne sinon à ceux qui la chantent, les Têtes de chien ne la considèrent pas d’un point de vue musicologique, ni dans un esprit de transmission historique, mais la replacent dans une sphère de création. « On est à la croisée de deux chemins : l’interprétation qui véhicule une histoire en majorité oubliée, et une dynamique de réinvention de la tradition », précise Philippe Bellet, l’un des ténors de la bande. « On regarde ces objets de la transmission orale comme des œuvres d’art », complète Justin Bonnet, que sa grande connaissance des musiques médiévales modales autorise à produire des arrangements à la fois iconoclastes et respectueux de ce patrimoine populaire le plus souvent refoulé.

« Cette espèce d’inhibition de notre propre culture m’a marqué, enfant, quand je me suis confronté au tabou familial et que j’ai manifesté le désir d’apprendre la langue de mon grand-père auvergnat, l’occitan, et ses chansons * », raconte Justin Bonnet. Sa science du bourdon (1), acquise notamment au sein de la maîtrise pour jeunes chanteurs de Notre-Dame, et sa passion pour l’ a cappella, assorties d’une soufflante inspiration contemporaine, (re)donnent jour à un répertoire hors d’âge. Qui connaît « Si j’avais cent mille », « L’ânesse est tombée en fossé » ou « À Genn’villiers » ? Trois chansons respectivement décrites comme « Joute ? Scat ? Battle ?… ou transformation morvandelle », « Braiements légataires subversifs » et « Hara-kiri en Petite Couronne »… «  C’est incroyable le nombre de chants que l’on découvre sous nos pieds et qui sont totalement inconnus. C’est un répertoire fantastique !  », s’extasie Didier Verdeille, second ténor du groupe, à la recherche de ses racines catalanes et issu du chant lyrique. Henri Costa, bercé par la chanson de variété et d’origine corse, quant à lui, est comédien de métier. Il insuffle une touchante dynamique scénique au quintet, en résidence au théâtre du Lucernaire jusqu’au 27 janvier. Grégory Veux, beau baryton hirsute, Provençal hautement convivial, se souvient ému de «  la rencontre humaine de ces cinq   hommes de Portraits d’hommes (premier album des Têtes de chien, Frémeaux & Associés, 09/12) à l’occasion du spectacle Dédale, le cirque des origines à l’Académie Fratellini, en 2007. Pour moi, c’est d’abord cette rencontre humaine qui a fait que ce groupe existe et a du sens  ». C’est aussi ça, les Têtes de chien : « Faire avec les hommes que nous sommes, avec nos qualités, nos défauts, nos forces et nos faiblesses », confirme Justin Bonnet. Une situation « familiale » en quelque sorte, où l’on s’accommode de ce que chacun est, dans une harmonie et avec une tendresse bouleversantes.

Musique
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