Hubert Haddad : En quête d’harmonie

Hubert Haddad livre simultanément un superbe roman d’inspiration japonaise et un recueil de haïkus.

Mathias Alcalaï  • 28 février 2013 abonné·es

Comme écrit à la surface de l’air, le nouveau roman d’Hubert Haddad, le Peintre d’éventail, est un récit contemplatif, d’inspiration japonaise, publié avec un recueil de haïkus qui en prolongent l’enchantement. Une autre aventure exotique pour l’auteur de Palestine. L’histoire est celle d’un jeune homme, Xu Hi-Han, qui, après des années d’infidélité, retrouve son maître, Matabei, sur son lit de mort. Ce dernier lui livre le récit de sa vie sous la forme d’une parole rare et secrète. Il évoque la pension de Dame Hison, une ancienne courtisane. En ce lieu, il y a un peintre d’éventail, poète et jardinier, qui investit dans la composition paysagère son amour des matières et des lignes. Le récit est alors lui-même transformé en vaste évocation de l’équilibre des harmonies factices du jardin. La végétation se met à parler, à dire des secrets qu’il faut entendre ; la faune, « prolongement ludique de la flore », est détentrice d’un savoir mystérieux sur lequel on s’interroge.

Ce décor d’écosphère où les sons et les formes tentent d’imiter l’harmonie du monde naturel, fait parfois oublier la réalité d’un Japon terriblement humain qui rejaillit par éclats tragiques : une secousse tellurique, ses répliques, l’innocence de la nature violée de radiations qui ne disent pas leur nom. Au cœur de ce drame, c’est la croyance en l’harmonie qui semble malmenée : celle de l’amour romanesque qui hante Matabei lorsqu’il contemple la jeune Enjo, celle de la permanence des saisons et du monde, quand on sait qu’ « Une seule rose/Ne saurait être cueillie/Sans déparer l’aube ». Que deviennent ces éventails peints, fragiles, délicats, lorsque la terre est recouverte d’une boue noire qui ravage tout sur son passage ? Le roman d’Hubert Haddad rappelle à quel point l’écrivain est hanté par l’exigence d’harmonie. Chaque phrase est conçue comme un haïku, comme un jardin aux beautés simples combinant l’exotisme de Kawabata à l’abstraction sylvestre de Julien Gracq.

Le leitmotiv de l’éventail peint devient l’une des clés d’écriture du roman : le mélange de vent et de grâce est plus fort que les tragédies du réel. Dans les Larmes d’Héraclite, Hubert Haddad écrivait déjà, en 1996 : « La vérité du vent ne craint pas l’érosion. » L’auteur nous invite à déchiffrer la psychologie des personnages à travers leur lecture du paysage. Même l’érotisme et l’amour passent par le pouvoir de la suggestion. Hubert Haddad fait paraître simultanément les Haïkus du peintre d’éventail. Certains de ces haïkus font penser à la grande tradition asiatique, d’autres à la compression métaphorique des poètes d’avant-garde : « Si tard à veiller/fenêtre éclairée là-haut/Néon de la lune »  ; « Je cours immobile/et les arbres me traversent/quel vent contre moi »  ; « Il s’endort l’errant/un ruisseau pour traversin/Songe de pierre ». À la pudeur naturelle de ces évocations s’ajoute celle d’un jeu de masque : l’auteur des haïkus n’est autre que le personnage du roman : Matabei. Une façon de rendre la poésie moins personnelle, plus éternelle, et de lui donner cette couleur factice qui fait le charme de la poésie ancienne.

Littérature
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