L’affaire Dieudonné vue d’un quartier de Cergy
 : «un grand n’importe quoi»

Promenade dans le quartier populaire de Saint-Christophe, à Cergy, où les mesures à l’encontre de Dieudonné ravivent un sentiment d’injustice.

Erwan Manac'h  • 8 janvier 2014
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L’affaire Dieudonné vue d’un quartier de Cergy
 : «un grand n’importe quoi»

Sur le personnage, les avis sont partagés. Mais devant les mesures prises dans toute la France pour interdire le spectacle de Dieudonné, un consensus se dessine, au hasard d’un «micro-trottoir» dans les rues du quartier Saint-Christophe, à Cergy (Val-d’Oise) : il y aurait en France deux poids, deux mesures, en matière de liberté d’expression.

Des caricatures de Mahomet dans Charlie Hebdo aux blagues racistes impunies de certains humoristes, chacun a son exemple, même si la plupart des passants interrogés ignorent le contenu du dernier spectacle de Dieudonné. « L’islam est décrié dans le monde entier au nom de la liberté d’expression , peste M. Djelloul, ancien géophysicien de 59 ans aujourd’hui sans emploi. Moi je n’ai rien contre les juifs , poursuit ce musulman de confession en rappelant, pour prouver sa bonne foi, que la mosquée de Paris a sauvé des juifs de la déportation pendant la Seconde Guerre mondiale. Mais dès qu’on parle d’eux, tout le monde s’agite soudainement. »

Même sentiment d’iniquité dans le groupe d’hommes réuni à deux pas de la gare RER. La conversation s’enflamme sur le tour politico-médiatique qu’a pris l’affaire, avec un message : parlons des vrais problèmes. « On nous parle de quenelle, alors que notre problème à nous, c’est de manger, de trouver un travail » , s’agace l’un d’eux.

« Moi, personne ne me parle de toute cette histoire » , raconte aussi un militant associatif, qui préfère ne pas commenter une affaire dont il dit n’avoir « rien suivi » . « Les gens ont bien d’autres problèmes. »

Noyer le poisson

Comme cette gérante d’un petit snack, proche de la gare, qui prend ses clients à témoin sur l’augmentation de la TVA. Pour ne rien arranger, elle a payé pour la première fois cette année des impôts sur le revenu : « Quand Hollande a été élu, les gens tiraient en l’air à Cergy tellement ils étaient contents. On est bien déçus aujourd’hui. Sarkozy escroquait les riches. Hollande, lui, il escroque les pauvres ! » , conclut-elle.

« On a l’impression que tout ça est destiné à noyer le poisson et à ne pas parler de la hausse de la TVA au 1er janvier, lance une étudiante de 26 ans à quelques rues de là. J’ignore ce que dit Dieudonné, mais si on l’interdit, il faut faire pareil avec les “Grosses Têtes” [l’émission quotidienne de RTL] *, qui va loin dans les blagues racistes. »*

« C’est le seul auquel cela arrive »

Au pied d’un immeuble en briques, deux jeunes adultes passent le temps, silencieux. Reda, 21 ans, est fan des sketches de Dieudonné qu’il regarde sur Internet. Il récuse tout antisémitisme. Ibrahim, 18 ans, est un bon connaisseur du personnage et de ses zones d’ombre. Il livre un point de vue plus critique.  « Avec Dieudonné, on se sent écouté. C’est ce qui me plaît, même si je ne suis pas d’accord sur tout. Parfois, il va trop loin » , juge le jeune homme en formation dans les BTP.

Un vif débat s’engage entre les deux comparses sur la liberté d’expression : « Il ne fallait pas l’interdire, car c’est le seul auquel cela arrive. Mais ce n’est pas une raison pour qu’il aille aussi loin dans ses sketches » , poursuit Ibrahim. « En France, on devrait pouvoir tout dire. C’est un humoriste, il fait son boulot. La preuve qu’il s’y prend bien, tout le monde en parle » , rétorque Réda.

Illustration - L'affaire Dieudonné vue d’un quartier de Cergy
 : «un grand n'importe quoi»

Au fil de leurs développements, ils flirtent à leur tour avec le complotisme qui fait le cœur du message de Dieudonné, jusqu’à soupçonner l’intéressé lui-même d’être « juif, franc-maçon, ou toutes ces conneries » , vu son habileté à faire parler de lui.

« Toutes ces réactions démontrent que Dieudonné dérange la classe politique et qu’il dit des vérités » , lance aussi Réda, en concluant toutefois par une « punch-line »  : « Dans deux ou trois ans, je ne l’aimerai plus. Une rose, ça se fane. »

Société
Temps de lecture : 4 minutes
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