La politique sans convictions

Ce qui choque le plus dans cette accumulation de revirements, c’est l’amnésie. L’absence d’explication. Ce qui ressemble à du mépris pour les électeurs.

Denis Sieffert  • 9 octobre 2014 abonné·es

Souvent homme politique varie. Feu Edgar Faure, que l’on moquait volontiers pour ses retournements de veste, disait joliment, mais cyniquement, que « ce n’est pas la girouette qui tourne mais le vent ». Rien de très nouveau donc sous les ors de la République. Mais tout de même, l’actualité de ces derniers jours nous a offert un assez joli florilège de volte-face et de reniements. Il y eut d’abord Nicolas Sarkozy et le gaz de schiste. Pour sa rentrée (ratée), le 25 septembre à Lambersart (Nord), il s’en est pris, avec la foi du charbonnier – si j’ose dire s’agissant d’énergie –, aux partisans du principe de précaution qui s’opposent à l’extraction du gaz de schiste. Le ton était d’autant plus véhément qu’il s’agissait de faire oublier qu’il avait lui-même interdit la fracturation hydraulique en 2011.

Quelques jours plus tard, c’est Manuel Valls qui a donné la mesure de sa plasticité idéologique à propos de la gestation pour autrui (GPA). « C’est une pratique intolérable de commercialisation des êtres humains et de marchandisation du corps de femmes », a-t-il déclaré le 3 octobre dans un entretien à la Croix. Avec la même assurance, il avait affirmé en 2011, que, « maîtrisée », la GPA « est acceptable ». Avant de conclure à l’époque : « Donc j’y suis favorable. » Et il balayait d’un revers de main les arguments de ceux qui redoutent  « une marchandisation des corps ». L’homme étant, en apparence, toujours le même, on cherche les causes de cette soudaine volte-face sur un sujet qui engage chacun au plus profond de ses convictions et de sa morale personnelle. Comme Zelig, le personnage de Woody Allen, est-il toujours de la couleur de celui qui lui fait face ? En 2011, le candidat à la primaire socialiste s’exprimait dans Têtu, magazine gay, très favorable à la GPA. En 2014, devenu Premier ministre, c’est dans la Croix, quotidien chrétien, porteur des valeurs traditionnelles de la famille, qu’il fait connaître sa toute nouvelle opinion. On devine qu’à l’inverse, c’est au gré de ses revirements qu’il choisit ses interlocuteurs. Dans la Croix, il s’agissait de désamorcer la mobilisation des opposants au mariage pour tous prévue pour le dimanche suivant. Mais, comme Manuel Valls ne donne pas dans la demi-mesure ni dans la moitié d’un reniement, il est allé très loin, annonçant son intention de demander aux pays qui acceptent ce mode de procréation de ne pas en accorder le bénéfice aux ressortissants des pays qui l’interdisent.

Notre Premier ministre traque les couples homosexuels ou infertiles par-delà les mers et les océans. Pire : il suggère que les enfants français issus d’une gestation pour autrui à l’étranger pourraient n’être pas reconnus en France. En quelque sorte, une nouvelle race de sans-papiers. Pas plus que Nicolas Sarkozy à propos du gaz de schiste, Manuel Valls ne laisse paraître le moindre doute. Face à une problématique complexe, où se mêlent la science, la société, l’éthique, il ne fait état à aucun moment d’un trouble personnel [^2]. Il était fermement pour la GPA ; le voilà violemment contre. Comme disait Talleyrand, orfèvre en cynisme et en autodérision, « en politique, il n’y a pas de convictions, il n’y a que des circonstances ». La même violence transparaît dans le tournant économique et social. Il ne suffit pas de renoncer à mener la guerre à la finance, il faut lui faire allégeance, lui déclarer un amour immodéré, en français devant l’université du Medef, en allemand devant les patrons de la puissante fédération de l’industrie BDI, en anglais à la City… Et demain, en néerlandais… Dans ce festival de reniements, « l’ex-socialiste » François Rebsamen mérite lui aussi une citation. « Je me bats depuis longtemps pour une vision libérale de l’économie », avoue-t-il dans un entretien au magazine Miroir (que ne l’a-t-il proclamé en périodes électorales ?). Il y confirme sa volonté de renforcer le contrôle des chômeurs et de « remise à plat des 35 heures ». Toutes choses qu’il avait déjà dites, puis démenties, et qu’il redit, avant de les démentir de nouveau en accusant le journaliste de lui avoir extorqué une interview qu’il ne voulait pas donner. Rebsamen, c’est un peu « Gaston la gaffe » : il lui arrive de dire la vérité ! D’autres exemples pourraient figurer dans cette chronique. Le virage de François Hollande sur la finance tient lieu à présent de symbole négatif du rapport de ce gouvernement avec ses électeurs.

Ce qui choque le plus dans cette accumulation de tête-à-queue, ce n’est pas tant les changements d’attitude. Il n’est pas interdit aux personnalités politiques d’évoluer, ou de devoir composer avec une réalité inflexible. C’est la violence de ces revirements. L’amnésie. L’absence d’explication. Ce qui ressemble fort à du mépris pour les électeurs. Ceux du populiste Nicolas Sarkozy ne s’en plaignent pas. Ils adorent l’homme et sont prêts à le suivre aveuglément dans toutes ses contradictions et dans tous ses mensonges. À propos des affaires, ils applaudissent ces jours-ci son ironie vulgaire et ses pirouettes. C’est à cela qu’on reconnaît le populisme. Il n’en va pas de même pour tout le monde. À gauche notamment, nos concitoyens ne détestent pas la fidélité à quelques convictions. D’où une terrible crise de confiance.

[^2]: On aura compris que notre propos n’est pas ici de prendre position sur le fond. Nous aurons l’occasion d’y revenir.

Une analyse au cordeau, et toujours pédagogique, des grandes questions internationales et politiques qui font l’actualité.

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