Le tourbillon de l’amour

François Rancillac met en scène la Place royale, une pièce de jeunesse de Corneille. Une suite de surprises et une réflexion sur la liberté sentimentale.

Anaïs Heluin  • 15 janvier 2015 abonné·es
Le tourbillon de l’amour
La Place royale , théâtre de l’Aquarium, Paris, jusqu’au 1er février, puis en tournée jusqu’en mai. www.theatre delaquarium.com
© Christophe Raynaud de Lage

Au sens propre comme au figuré, la Place royale vue par François Rancillac sent le roussi. Dès le premier alexandrin, Angélique (Hélène Viviès) rejette l’amour de Doraste (Nicolas Senty), le frère de sa meilleure amie Phylis (Linda Chaïb). « Alidor a mon cœur et l’aura tout entier. En aimer deux, c’est être à tous deux infidèle », annonce la belle, inflexible. Adieu alors Doraste, sa demande en mariage et ses promesses d’amour éternel. Sur le carré de confettis gris imaginé par le scénographe Raymond Sarti, ce premier refus ouvre une intrigue alambiquée où les personnages se laissent dépasser par leurs sentiments. Le lit couleur cendre laisse bientôt place à un beau parquet de bal style XVIIe, mais le décor initial, simple et fort, fait planer sur les personnages une sourde menace.

Une chorale-ballet à sept voix commence alors, sous l’œil attentif d’un crâne posé sur un coin du parquet. La Place royale est une comédie, mais, chez Corneille, on ne rit que si la mort guette. Et on ne pleure qu’au milieu de farces, dans un comique de répétition qui brouille les frontières entre les genres. Écrite par un Corneille âgé de 28 ans, la Place royale possède déjà toute l’ambiguïté de l’Illusion comique (1635), où la mort tragique de Rosine et Clindor participe d’une comédie dans laquelle parents et serviteurs se mêlent de ce qui ne les regarde pas. On y trouve aussi l’obsession de liberté et de contrôle de soi de Polyeucte, qui, dans la pièce éponyme, pense pouvoir se mesurer à Dieu. Très vite, alexandrins et stratagèmes s’enchaînent. Et c’est là la grande réussite de François Rancillac et de son équipe. Dans la bouche des comédiens vêtus à la mode d’aujourd’hui – sans élégance particulière, sauf durant la scène centrale du bal –, le vers cornélien fuse avec naturel et précision. Plus que les actes des personnages, il dépeint la psychologie troublée de tous ceux qui tentent de répondre aux exigences de leurs sentiments. Les uns en faisant taire tout désir qui risque de porter atteinte à leur liberté, les autres en y répondant comme des esclaves à leur maître. Pour leur malheur, Alidor appartient à la première catégorie et Angélique à la seconde. Christophe Laparra est un Alidor tout en retenue, aussi bien lorsqu’il échafaude ses plans pour détruire l’amour que lui porte Angélique que lorsque ces derniers échouent. Davantage de nuance dans le jeu aurait mieux servi la partition complexe de ce personnage incapable d’être le héros froid et libre qu’il prétend incarner. Mais la justesse à fleur de peau d’Hélène Viviès et la belle distribution des rôles secondaires pallient cette faiblesse.

En tant que Phylis, Linda Chaïb est le pendant féminin et fantasque d’Alidor. Depuis son éloge de l’amour libre dans la scène d’ouverture, ses interventions survoltées et délicieusement minaudantes sont un pied de nez aux larmes que versent Angélique, Doraste et Cléandre, les deux derniers étant épris d’elle. Délicieux de gaucherie, Nicolas Senty et Assane Timbo donnent à la fidélité un visage grotesque et touchant. Toutefois, le clan des « infidèles » n’est guère épargné. Après avoir cherché en vain à faire tomber sa dulcinée dans les bras de son ami Cléandre, Alidor se résigne à assumer ses sentiments. Trop tard. La belle a perdu toute confiance dans les choses de l’amour et décide de se retirer dans un couvent. Rien, dans la Place royale, ne se fait dans la demi-mesure. En marge du carré central, des tables de maquillage où les comédiens attendent leur tour créent toutefois une distance. Comme les costumes, elles nous rappellent à notre époque et à ses désordres amoureux.

Théâtre
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