Ne pas nous prendre pour des Américain(e)s

Chez nous, Buddy, on laisserait personne nous fourguer de la loi d’exception par paquets de douze.

Sébastien Fontenelle  • 25 novembre 2015 abonné·es

Je t’aime bien, Buddy : t’es mon ami. C’est pour ça que je me sens autorisé à te le dire franchement : des fois, vous êtes un peu des con(ne)s, vous autres les Yanquis. Je veux dire : quand je prends la mesure exacte de ce que votre gouvernement vous a fait avaler depuis le 11 septembre 2001 – au prétexte de mieux assurer votre sécurité –, quand je vois que vous l’avez si gentiment laissé donner, sous le si flippant couvert de la War on Terror, de si gigantesques coups d’hache dans vos libertés, je t’aime bien, je t’assure, mais j’ai honte pour vous, c’est pas possible d’être si flaccides, bordel. (C’est pour ça qu’en même temps qu’on compatissait on s’est quand même légèrement foutu de vos gueules quand vous avez permis que soit édifié le Patriot Act : t’as quand même un peu ce que tu mérites, on pensait, t’avais qu’à pas te laisser fouetter.)

Chez nous, la France, je préfère te dire que si nous étions – à Dieu ne plaise – confrontés aux mêmes assauts que vous avez endurés fourteen years ago, ça se passerait d’une tout autre manière : on laisserait personne – et surtout pas une bande de sous-dickcheneys déguisé(e)s en soc-dém – profiter de nos détresses pour nous fourguer de la loi d’exception par paquets de douze, believe me. Chez nous, la France « socialiste », si le Président et son crew essayaient, au lendemain d’une immonde tuerie, d’abuser de nos désarrois et de notre effroi pour nous infliger la punition supplémentaire d’une atteinte délibérée à la démocratie, s’ils décidaient de sacrifier l’État de droit sur l’autel d’une « urgence » pérennisée – qu’ils entreprendraient même de constitutionnaliser dans une écœurante cérémonie d’ « union sacrée » avec l’autre droite sécuritaire –, s’ils prenaient donc dans l’émotion des mesures d’exception applaudies même par des faf(fe)s, puis réclamaient ensuite – par la voix, par exemple, d’un Premier ministre « de gauche » – qu’on ne s’emmerde pas trop, surtout, à vérifier de trop près leur bonne légalité (et si, par-dessus tout cela, une éditocratie sanglée serrée dans son treillis et définitivement rendue à toutes les simplifications lançait d’hideux appels guerriers), jamais, m’entends-tu, nous ne l’accepterions !

Tu nous as bien regardé(e)s, Buddy ? Nous descendrions dans les rues par dizaines de millions – et n’en repartirions qu’après avoir fait graver dans nos marbres législatifs (liste non exhaustive) que l’un des plus sûrs moyens de résister à la terreur reste après tout, et tout compte fait, de ne rien lui concéder de ce qu’elle cherche à nous arracher. Parce que, vois-tu, à nous, la France : On. Ne. Nous. La. Fait. Pas. Observe-nous d’un peu près : du haut de la tour Eiffel, soixante-dix siècles d’insoumission te contemplent. On est le pays de la liberté, de l’égalité et de la fraternité, brevetées dans le monde entier – et bon courage à qui voudrait nous les limer : merci de ne pas nous prendre pour des Américain(e)s.

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De bonne humeur

Sébastien Fontenelle est un garçon plein d’entrain, adepte de la nuance et du compromis. Enfin ça, c’est les jours pairs.

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