Loi travail : Leurre du dialogue

Les syndicats maintiennent la pression mais le gouvernement pourrait profiter de la multiplication des revendications sectorielles pour tenter de diviser.

Vanina Delmas  • 1 juin 2016 abonné·es
Loi travail : Leurre du dialogue
© ALAIN JULIEN/AFP

« Jusqu’au bout ! » Le mot d’ordre du mouvement social contre le projet de loi travail est le même pour tous. De son côté, Manuel Valls l’a (ré)affirmé dans Le Parisien : « Quand un texte a été discuté, qu’il a suscité des compromis avec les partenaires sociaux, qu’il a été adopté à l’Assemblée nationale, je considère que ma responsabilité, c’est d’aller jusqu’au bout. » Dans la rue, les manifestants et syndicalistes donnent toujours de la voix pour crier : « On ne lâche rien ! » Et plus de trois mois après la divulgation du projet de loi El Khomri et la pétition en ligne contre celui-ci, on comptabilise huit journées de mobilisation à l’appel de l’intersyndicale, l’émergence de Nuit debout, une vague de blocages et de grèves notamment dans les raffineries et les transports. Face à cette effervescence, l’utilisation du 49.3 a fait passer en force le texte à l’Assemblée nationale. Le bras de fer entre le gouvernement, le Medef, la CGT et FO n’en finit pas. Le tout, sur fond de violences, et un calendrier qui dessert le gouvernement. Le retour du texte à l’Assemblée nationale n’aura lieu qu’en juillet alors que l’Euro de football débute le 10 juin.

À une semaine de l’événement sportif tant attendu, la menace d’une paralysie partielle du pays se précise. « Je ne peux pas croire une seule seconde qu’ils [les syndicats] prennent en otage la France, car c’est l’image de la France qui est en jeu », a déclaré Jean-Christophe Cambadélis, premier secrétaire du Parti socialiste, le 29 mai, sur RTL. Mais qui prend en otage qui ? L’argument est réversible. La grève reconductible à la SNCF, transporteur officiel de la compétition, est prévue à partir du 31 mai, même si la CFDT a finalement décidé d’y renoncer. Même prévision dans les transports parisiens puisque la grève à la RATP doit débuter le 2 juin.

Dans les airs, le SNPL, syndicat de pilotes majoritaire à Air France, a voté lundi pour le principe d’une grève dure, contre la baisse de rémunération des pilotes. Si aucune date n’est encore fixée, « il y aura forcément des actions en juin », a déclaré Emmanuel Mistrali, porte-parole du SNPL Air France. De même, tous les syndicats représentatifs de l’aviation civile appellent à une interruption du travail du 3 au 5 juin pour dénoncer les baisses d’effectifs et peser sur la renégociation de leur cadre de travail. Si la situation est redevenue quasi-normale dans les stations-service, les salariés du plus gros dépôt pétrolier d’Île-de-France ont reconduit leur grève, tout comme le personnel des terminaux pétroliers havrais (CIM), qui approvisionnent des raffineries et des aéroports. Et d’autres fronts pourraient s’ouvrir d’ici au 14 juin, prochaine journée d’actions nationale, à l’initiative de l’intersyndicale.

Des revendications sectorielles commencent à prendre le pas sur la loi travail dans les motifs de grève. Et c’est peut-être ce qui servira la stratégie du Premier ministre : lâcher du lest dans quelques négociations bien identifiées (cheminots, intermittents…) pour isoler progressivement le mouvement. La preuve avec les chauffeurs routiers, qu’il a « rassurés » sur la rémunération des heures supplémentaires. Il a donc pris l’initiative d’appeler la plupart des leaders syndicaux, dont Philippe Martinez, secrétaire général de la CGT, qui a lui-même affirmé être « prêt à retourner à la table des concertations ». « Le gouvernement est dans une posture de dialogue avec les organisations syndicales pour résoudre un certain nombre de questions qui existent depuis très longtemps », a confirmé Jean-Marie Le Guen, secrétaire d’État chargé des Relations avec le Parlement.

Le flottement entre la fermeté et l’ouverture au dialogue est perceptible chez certains ministres, à l’instar de Michel Sapin, qui évoquait l’éventuelle réécriture du fameux article 2, avant d’être contredit par Manuel Valls. Quant au président de la République, il n’a pas hésité à minimiser la crise sociale lors de son entretien surprenant dans l’émission « La Fabrique de l’histoire » sur France Culture. « Mai 68, c’était des millions de personnes. Des étudiants dans la rue, des ouvriers par millions dans les usines […]. Là, on est dans un conflit assez traditionnel, estime-t-il. Ça ne veut pas dire négliger ce qui se passe mais ça ne me conduit pas non plus à accepter ce qui est un blocage fondé par une stratégie portée par une minorité. » La tentative de dialogue social qui se dessine ne pourrait être qu’un leurre : diviser pour imposer la loi travail.

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