Le rugissement des Panthers

Les éditions Syllepse publient un recueil de textes du Black Panther Party américain. L’occasion de démonter certaines idées reçues sur ce mouvement majeur du XXe siècle.

Pauline Guedj  • 24 août 2016 abonné·es
Le rugissement des Panthers
© Sara Davis/Getty Images North America/AFP

Le 4 décembre 1969, 4 h 45 du matin. Un raid de la police déboule dans un appartement du South Side de Chicago. Dès qu’ils passent la porte, les policiers chargent. Objectif : assassiner le leader de la -cellule locale du Black Panther Party, Fred Hampton. Plus tôt dans la soirée, le jeune militant a été drogué aux barbituriques par un agent du FBI infiltré. Lorsque la police entre dans sa chambre, il est sur son lit, inanimé. À ses côtés, sa compagne, enceinte de huit mois. Fred Hampton est abattu dans son sommeil de deux balles dans la tête. Il avait 21 ans. Au lendemain du scandale, lors d’une conférence de presse, la police de Chicago plaide la légitime défense.

D’entre tous les mouvements du Black Power américain, le Black Panther Party est certainement le plus connu. Des hommes et des femmes à la coupe afro. Une milice armée. Des leaders charismatiques. Des programmes communautaires et les premiers établissements de désintoxication gratuits dans les métropoles américaines. Créateur d’un discours politique structuré, le Black Panther Party est aussi l’inventeur d’une rhétorique folle, mélange de la verve révolutionnaire des années 1960 et du parler des ghettos. Considéré comme « la plus grande menace pour la sécurité intérieure de ce pays » par le patron du FBI, J. Edgar Hoover, le parti sera l’objet de constantes persécutions. De militants assassinés, incarcérés, certains aujourd’hui encore. Avec sa durée de vie express, seize ans dont cinq d’âge d’or, le mouvement reste au cœur de polémiques.

Version modifiée et amendée d’un livre paru en 1971 aux éditions Maspero, All Power to the People a le grand intérêt de remettre de l’ordre dans la connaissance sur les Black -Panthers. Ici, pas de commentaires d’historiens ou de réflexions sociologiques, simplement une courte préface suivie d’une série de textes bruts, certains traduits en français pour la première fois. Le livre est celui de la parole des Panthers. On y entre dans les discours, dans leur langue violente et poétique, et on en entend la rage teintée tantôt de prises de position à l’emporte-pièce et tantôt d’une grande -sophistication. Le livre rend leur histoire aux Black Panthers et contredit les idéologues qui ont voulu en faire les emblèmes d’une communauté noire jugée pathologiquement délinquante.

Plusieurs idées reçues sont ici recadrées, à commencer par la plus ancrée : le Black Panther Party serait un groupe d’une violence extrême. Oui et non, dira-t-on à la lecture du livre. Oui parce que, chez les Panthers, la violence est incontournable. Le Party naît en 1966, fondé par deux militants californiens, Bobby Seale et Huey P. Newton, qui comptent allier combat transnational pour la libération des peuples noirs et actions à l’intérieur des ghettos. Depuis des décennies, les Noirs sont décimés par les bavures policières. La résistance face aux sévices des forces de l’ordre sera l’une des premières actions du groupe, notamment avec la création de milices dont l’objectif est de protéger la population. Les discours des Panthers sont bourrés de références à ce que l’on appelle dans le mouvement les « pigs », les policiers véreux, « l’instrument que le pouvoir envoie dans nos communautés pour pacifier et contrôler les Noirs ». Toutefois, chez les Panthers, la -violence n’est pensée qu’en termes -d’autodéfense. « Comme tous les révolutionnaires marxistes, peut-on lire, le Black Panther Party soutient que la seule réponse à la violence de la classe dirigeante est la violence révolutionnaire du peuple… La stratégie révolutionnaire pour le peuple noir en Amérique commence par le geste défensif de prendre un flingue. »

Deuxième idée répandue : les Black Panthers seraient racistes. Non. Le parti est un mouvement en guerre. Ancrés dans les rhétoriques du Black Power, ses militants considèrent que la communauté noire constitue une colonie à l’intérieur des États-Unis et qu’elle est par conséquent en opposition avec la société environnante. De ce point de vue, le sort des populations afro-américaines n’est pas différent de celui des autres peuples dominés. Pour se libérer, elles doivent s’engager dans un combat contre l’impérialisme. C’est donc beaucoup plus une logique anticoloniale qu’un discours anti-Blancs qui régit les actions du Black -Panther Party et, en ce sens, il s’oppose à la plupart des formations nationalistes afro-américaines. Considérant le séparatisme comme une étape, le Party se retrouve dans la mouvance internationaliste et ira d’ailleurs jusqu’à s’allier avec plusieurs groupes marxistes implantés aux États-Unis. À New York, il sera proche des Young Lords portoricains. En Californie, il créera des alliances avec des organisations révolutionnaires comme le Revolutionary Communist Party de Bob Avakian ou le -Weather Underground. Pour les leaders du parti, ces alliances sont souhaitables à condition qu’elles n’entachent pas l’effort d’auto-détermination des Noirs. « Nous acceptons l’aide des radicaux de la mère patrie pour autant qu’ils comprennent que nous réfléchissons par nous-mêmes ».

Troisième préjugé démonté par le livre : le Black Panther Party est machiste. Ici encore, non, et même au contraire. Dans un contexte politique afro-américain souvent dominé par la verve phallocentrée du nationalisme noir, le Black Panther Party a témoigné d’une évolution originale. Se vantant dans ses premières publications d’être « la crème de la masculinité noire », le mouvement va progressivement changer de position. À terme, plusieurs de ses membres historiques seront des femmes, Afeni Shakur, Kathleen Cleaver ou Angela Davis, et les prises de position pour les droits des femmes feront partie de son bagage intellectuel. Prônant une voix alternative, le Party prendra en compte les discriminations de race, de classe et de genre, et les liens entre chauvinisme masculin et racisme. « La lutte contre le chauvinisme est une lutte des classes », dira Bobby Seale.

Âpre, brut, All Power to the People dévoile un militantisme jusqu’au-boutiste. La fureur rode dans ses pages et la mort n’est jamais loin : « Tout révolutionnaire doit avoir conscience que, s’il est sincère, sa mort est imminente » ; « Vous pouvez emprisonner un révolutionnaire, mais vous ne pouvez pas emprisonner la révolution. Vous pouvez tuer un libérateur, mais vous ne pouvez pas tuer la libération ». Livre sur la résistance et l’insurrection, le volume est un hommage poignant à l’un des mouvements politiques les plus importants du XXe siècle.

Idées
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