Retour sur Ebola

Clélia Gasquet-Blanchard a enquêté sur l’apparition du virus et son expansion à partir de 1994. Ses analyses fondées sur des observations sur le terrain font partie des premières sur le sujet.

Ingrid Merckx  • 24 août 2016
Partager :
Retour sur Ebola
© Photo : Dasril Roszandi / NurPhoto.

Été 2014, l’Afrique de l’Ouest est ravagée par Ebola. Près d’un an plus tard, l’Organisation mondiale de la santé annonce sa fin en Guinée, puis au Libéria. Clélia Gasquet-Blanchard, maîtresse de conférence en géographie à l’École des hautes études en santé publique (EHESP), a choisi de s’intéresser aux pratiques qui ont contribué à l’apparition et l’expansion de l’épidémie en Afrique… dès 1994.

Ses premières analyses sont parues dans les années 2000, soit à l’époque où l’épidémie était encore peu étudiée et ne s’était pas encore répandue. Fondées sur des recherches de terrain notamment au Gabon et en République du Congo, des relevés sérologiques et des entretiens auprès des populations concernées, elles « permettent de poser les bases pour des travaux futurs sur les maladies émergentes », félicitent les chercheurs Anne-Cécile Hoyez et Emmanuel Éliot en préface. Ils saluent, entre autres, une théorie selon laquelle Ebola n’est pas « qu’un virus » mais « un événement sanitaire et social qui engendre des ruptures fortes dans les trajectoires des personnes et des populations. »

Une crise sanitaire, sociale et politique

Ce travail rend un certain nombre de connaissances accessibles au grand public. Où l’on apprend que Ebola se décline en cinq espèces plus ou moins pathogènes pour l’homme. Le réservoir initial étant une espèce de chauve-souris mordant d’autres animaux et/ou des fruits ou contaminant l’homme via des tissus ou des liquides biologiques rencontrés sur des carcasses. « Ne touchons jamais, ne manipulons jamais les animaux trouvés morts en forêt », annonce une pancarte devant un hôpital de brousse en République du Congo en 2007.

Les symptômes sont des fièvres hémorragiques graves à taux de contagion et de mortalité élevés : 90 %. « Si les virus peuvent se développer  » spontanément  » dans la nature, il n’y a rien de naturel dans ces épidémies, qui sont avant toute chose des événements de société », précise Clélia Gasquet-Blanchard qui s’est attachée à creuser les notions de risque et d’urgence. Lesquelles, pendant sa période d’étude, comme en 2014, sont déterminantes dans la perception de la maladie dans les pays touchés mais aussi partout dans le monde : « Durant l’épidémie, la maladie touche les individus d’une population vivant  » l’intervention humanitaire  » comme une guerre contre leur propre corps social malade. » Intervention tardive et mal vécue : la crise sanitaire s’accompagne d’une crise sociale et politique.

Humaniser la recherche

La chercheuse insiste notamment sur la nécessité d’associer la biomédecine aux médecines traditionnelles pour une meilleure information des populations en proie à des rumeurs. Faisant le lien avec l’épidémie de 2014, elle dénonce un accès aux traitements qui a privilégié alors les Occidentaux sur place, et des moyens internationaux sans rapport avec les ressources des pays concernés.

Elle souligne aussi à quel point l’humanisation d’un sujet de recherche – observations émanant d’une femme, jeune, rendant visibles des villageois – reste scientifiquement dévalorisée. « Arrive le moment où le terme Ebola est prononcé, écrit-elle en relatant une discussion dans un village. Quelle que soit la personne qui l’énonce, il replante le décor d’une communauté ayant vécu un traumatisme profond. Les personnes qui l’entendent se figent, nous lisons des regards en souffrance. Le mot se répète en écho dans un murmure qui clôture le palabre, ancien siège d’un accueil spontané et insouciant. Cette re-mise en souffrance est autant individuelle que collective. »

Culture
Temps de lecture : 3 minutes
Soutenez Politis, faites un don.

Chaque jour, Politis donne une voix à celles et ceux qui ne l’ont pas, pour favoriser des prises de conscience politiques et le débat d’idées, par ses enquêtes, reportages et analyses. Parce que chez Politis, on pense que l’émancipation de chacun·e et la vitalité de notre démocratie dépendent (aussi) d’une information libre et indépendante.

Faire Un Don