« Vu » : Le (bon) sens des images

Viré de Canal +, rebaptisé « Vu », le célèbre « Zapping » de Patrick Menais revient sur France 2 avec la même volonté de décryptage et d’ironie.

Jean-Claude Renard  • 1 février 2017 abonné·es
« Vu » : Le (bon) sens des images
© Photo : Bertrand GUAY / AFP

L e pur journalisme, c’est ce que l’on cherche toutes les deux », confie Laurence Ferrari à Ruth Elkrief. Séquence suivante : un extrait d’un documentaire animalier sur ces curieux serpents qui replongent, « à la moindre alerte, dans leur terrier ». Au tour d’Arnaud Montebourg, sur i-Télé et BFMTV, au moment du débat de la primaire de la Belle Alliance populaire, de dénoncer « la concentration des médias ». Laurence Ferrari interroge : « Vous, vous résistez à la pression des puissants ? », pointant du doigt le candidat. « Il y a même une chaîne, répond Arnaud Montebourg, votre chaîne, [dont] le propriétaire […] est allé jusqu’à détruire son outil de travail pour empêcher le pluralisme. » C’est à Patrick Dewaere, dans une fameuse scène de Coup de tête, de ponctuer la séquence en « levant [son] verre au tas d’ordures qui [l]’entoure ! »

Pour son retour sur le petit écran, le 16 janvier, après sept mois d’absence, l’ex-« Zapping » de Canal +, rebaptisé « Vu », sur France 2, n’a pas manqué son rendez-vous. Ni avec l’impertinence ni avec l’indépendance éditoriale. Il y avait dans ce premier numéro, plein d’ironie, l’esprit frondeur d’un Dewaere en transe de revanche et de règlements de comptes personnels, ici pointant le groupe Canal, Vincent Bolloré, la longue grève automnale à i-Télé, sa rédaction décimée et, au passage, le silence couard de l’une de ses figures, Laurence Ferrari, qui, rappelons-le, ne s’est jamais montrée solidaire de ses collègues.

Fallait-il s’attendre à autre chose ? Sûrement pas dès lors que l’on sait qu’aux manettes de « Vu » sévit le même Patrick Menais qui orchestrait le « Zapping » sur Canal, viré sans ménagement en juillet dernier par Bolloré. Reconnaissons qu’il l’avait bien cherché. D’abord en consacrant, trois mois plus tôt, les six pleines minutes de son « Zapping » à son employeur, articulé autour d’un numéro de « Complément d’enquête » (France 2), lequel livrait un portrait sans concessions de l’homme d’affaires breton. Piochant, triant, Patrick Menais dégageait la substance d’un « pirate du capitalisme », soulignant ses affaires au Cameroun (dans l’huile de palme), au mépris des droits humains fondamentaux, ses autres affaires dans les containers sur les ports africains, l’Autolib et sa mainmise brutale sur le groupe Canal.

Pour Vincent Bolloré, c’était un affront. Un de plus. Depuis sa reprise de Canal en 2015, quand toutes les têtes ont été écartées, il était dans le viseur du « Zapping » pour ses méthodes et son goût de la censure (trappant ainsi, dans la case « Investigation » de la chaîne cryptée, des enquêtes sur Volkswagen, les services de renseignement ou encore la répression). À la rentrée 2015, justement, le « Zapping » avait largement fait écho à un documentaire à charge de Nicolas Vescovacci et Jean-Pierre Canet sur le Crédit mutuel, filiale de Vivendi, qui possède Canal, un doc censuré par Bolloré et finalement diffusé sur France Télé.

On savait le programme sur la sellette, et plus encore Patrick Menais. Ça ne pouvait plus durer. En juillet 2016, Bolloré sonnait donc la fin de la récréation. Exit le « Zapping » et son chef d’orchestre, licencié pour « faute grave » après qu’il eut déposé les noms du « Zapping » et de « L’Année du zapping » à l’Institut national de la propriété industrielle (Inpi). Il est certes le père du genre (qui a fait florès sur toutes les chaînes), créé en 1989. Cela n’en restait pas moins un faux pas pour le réalisateur, intransigeant mais assurément moins armé devant les avocats œuvrant pour la chaîne.

En attendant la suite des procédures aux prud’hommes, Patrick Menais ne dit mot. Mais réapparaît sur France 2 (au passage, on aura remarqué que le service public, peu enclin à innover, reprend ce qui marche ailleurs). Sur la même durée, l’exercice utilise les mêmes codes, inaugurés il y a vingt-huit ans. En termes de télévision, c’est une éternité, à l’instar du « Dessous des cartes », sur Arte (présenté par Jean-Christophe Victor, disparu en décembre dernier). Le « Zapping » était devenu l’un de ces programmes qui font l’identité d’une chaîne. À ne surtout pas voir comme un bêtisier.

Décryptage de l’actualité, « Vu » décline tambour battant un choix d’images ramassées sur les écrans de la veille (toutes émissions ou tous genres confondus). Rebondissant sur la démultiplication des chaînes et les joies de la télécommande, le concept tend à souligner une pollution audiovisuelle qui s’est imposée au détriment de l’analyse et du temps. En y ajoutant une dose forte d’ironie et de distance, ce qui est aussi la marque de fabrique de celui qui a été réalisateur des « Guignols », auteur de documentaires consacrés aux lois Sarkozy sur la prostitution, au commerce équitable ou encore à des initiatives humanitaires en Afrique. Un bagage large pour saisir un monde en mouvement, tout en caressant les arcanes du montage.

« On reprend le rythme de la télé, le mouvement du téléspectateur, puis on déconstruit pour reconstruire, expliquait Patrick Menais à l’occasion des 20 ans du « Zapping », en 2009_. C’est une forme de vaccin, comprenant son propre poison, une autre distance par rapport aux heures de télévision qu’on avale chaque jour._ » Après quoi, il s’agit d’établir une hiérarchisation, de créer des résonances, des enchaînements, de remettre de l’ordre entre le superflu et l’âpreté, le dérisoire et la gravité, la violence et la futilité, entre clins d’œil et échos. Tout un subtil montage qui donne du sens au robinet, met en perspective le meilleur et le pire de la télé, pour donner à réfléchir dans le flux. Il y a toujours matière.

En septembre 1989, le « Zapping » s’ouvrait sur des images du drame de Tien An Men, avant que ne s’exprime le dalaï-lama dans « Apostrophes », tandis qu’au Danemark on célébrait le mariage entre deux hommes et, sur la chaîne cryptée, le premier « Journal du hard ». Ce 16 janvier, « Vu » moquait Bolloré et les journalistes vedettes des chaînes d’info en continu. Le 23 janvier, il pointe l’intervention de Franz-Olivier Giesbert sur le plateau de France 2, jugeant le programme de Benoît Hamon comme un « trumpisme de gauche ». À l’évidence, tacler ce qui se passe sur sa propre chaîne ne gêne toujours pas le réalisateur. Le 26, les émoluments de Penelope Fillon constituaient le fil rouge de « Vu ». Après avoir couvert quatre élections présidentielles, Patrick Menais pouvait difficilement se priver de celle-ci. C’est chose faite.

« Vu », du lundi au vendredi, à 16 h 45 et à 20 h 45.

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