« Arrêtons de financer les énergies fossiles »

Il ne faut pas compter sur le système financier pour prendre la mesure de l’urgence climatique, prévient Dominique Plihon. Des règles nouvelles et une politique budgétaire ambitieuse sont donc nécessaires.

Erwan Manac'h  • 27 mars 2019 abonné·es
« Arrêtons de financer les énergies fossiles »
© photo : Le siège de la Banque centrale européenne, à Francfort, en Allemagne.crédit : THOMAS LOHNES/Getty Images/AFP

Verdir la finance est un enjeu majeur. Mais, selon les économistes hétérodoxes, rien ne remplacera la puissance publique face au défi.

Depuis 2015, la Banque centrale européenne (BCE) a injecté 2 600 milliards d’euros sur les marchés. À quoi ont-ils servi ?

Dominique Plihon : Une intervention d’urgence auprès des banques en difficulté après la crise de 2008 était indispensable car elles ne se prêtaient plus entre elles, alors que les prêts entre banques constituent l’essentiel de la liquidité en circulation. En jouant son rôle de prêteur en dernier ressort, la BCE a permis d’éviter l’effondrement du système et une récession comparable à celle de 1929. Mais les banques centrales sont allées au-delà, avec une politique monétaire non conventionnelle, dite de quantitative easing (assouplissement monétaire). Elles ont inondé les marchés en prêtant aux banques à des taux très faibles, voire nuls, sans aucune condition, en espérant que ces dernières prêtent ensuite à l’économie réelle et que cela fasse redémarrer l’économie. Sauf qu’il n’y avait pas de demande suffisante de la part des entreprises et des ménages, à cause d’une politique budgétaire et salariale trop restrictive. L’argent injecté est donc allé sur les marchés financiers, pour alimenter des bulles spéculatives. Et nous ne savons pas comment sortir aujourd’hui de cette politique sans provoquer de choc. La BCE avait décidé d’arrêter fin 2018, mais elle vient de se raviser. On ne peut pas arrêter une drogue du jour au lendemain.

Suffirait-il de consacrer ces milliards prêtés par la BCE à la transition énergétique, comme le propose le pacte finance-climat avec ses « 1 000 milliards pour sauver la planète » ?

Malheureusement, cela ne suffirait pas à faire décoller la transition, comme le quantitative easing n’a pas suffi à relancer l’économie. Parce que les investisseurs privés sont des acteurs court-termistes, incapables de se lancer dans des investissements de long terme. Seuls l’État et les collectivités publiques peuvent le faire. Le système financier tel qu’il fonctionne aujourd’hui n’est donc pas en mesure de financer la transition, même avec l’appui d’une politique monétaire « expansionniste ».

Que proposez-vous, a contrario ?

Nous avons besoin de banques publiques d’investissement, comme la Caisse des dépôts, principal investisseur de long terme en France, et sa filiale, la BPI, créée en 2012. Mais nous devons étendre ce modèle en l’alimentant avec toute l’épargne populaire – le Livret A, le Livret de développement durable, etc. –, dont 40 % va vers les banques privées aujourd’hui. Ce n’est malheureusement pas la voie choisie par le gouvernement, qui veut créer un « pôle financier public » mais accélère en réalité la privatisation de la Caisse des dépôts, en faisant d’elle un investisseur standard, comme le lui impose la loi Pacte récemment votée. Si la Caisse doit se conformer aux critères de rentabilité et de gestion des risques du marché, elle ne pourra plus jouer son rôle d’investisseur public de long terme.

Quel rôle peuvent jouer la BCE et la politique monétaire ?

La politique monétaire a un rôle majeur à jouer pour le financement de la transition énergétique. Mais à deux conditions. D’abord, la BCE doit poursuivre sa politique non conventionnelle – et non l’interrompre, comme elle a prévu de le faire – et faire du « quantitative easing vert ». Elle doit se montrer sélective dans les prêts qu’elle accorde aux banques (jusqu’ici inconditionnels) en donnant la priorité aux activités tournées vers la transition et en interrompant les financements aux énergies fossiles, émettrices de CO2. Mais la politique monétaire seule n’est pas efficace. Elle doit être couplée à une politique d’investissements publics massifs, dont une partie doit être financée par l’achat de titres de la dette publique par la BCE.

En quoi votre proposition se distingue-t-elle du pacte finance-climat, qui propose justement la création d’une banque européenne du climat et de la biodiversité, filiale de la Banque européenne d’investissement (BEI) ?

La BEI fonctionne selon les critères du marché et veille constamment à conserver un « triple A » auprès des agences de notation. En s’appuyant sur elle, le pacte finance-climat reste finalement dans l’orthodoxie financière. C’est sans doute la raison pour laquelle il a obtenu des signatures de personnalités diverses, y compris à droite.

Dominique Plihon Porte-parole d’Attac, spécialiste des banques.

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