« Wonder Woman enterre son papa », de Sophie Cusset : Ehpad, mon amour

Dans Wonder Woman enterre son papa, Sophie Cusset traite le quotidien d’une maison de retraite sous la forme d’un cabaret autobiographique.

Anaïs Heluin  • 15 mars 2022 abonné·es
« Wonder Woman enterre son papa », de Sophie Cusset : Ehpad, mon amour
© Sophie Cusset

L’envie de Sophie Cusset de consacrer un spectacle au «petit monde touchant et cruel» de l’Ehpad ne date pas du covid. Bien avant les débuts de l’épidémie, dont les ravages au sein des établissements en question ont attiré l’attention des médias, la comédienne et metteuse en scène mûrissait son projet.

Wonder Woman enterre son papa, jusqu’au 29 mars au Théâtre de Belleville, Paris, 01 48 06 72 34, www.theatredebelleville.com
Le désir remonte, explique-t-elle dans Wonder Woman enterre son papa, sous la forme d’un faux préambule à rallonge, au moment de la mort de son père après neuf ans de résidence dans ce type de structure de vie.

Cette création, poursuit-elle dans son rôle de metteuse en scène très bavarde et passablement grincheuse – son double plus ou moins fictionnel, sans aucun doute –, a pourtant bien failli ne jamais voir le jour. Comme l’ensemble du paysage théâtral, elle a été retardée par le contexte sanitaire. Et comme si ce drame collectif n’avait pas suffi à la pauvre artiste poursuivie par le sort, un drame intime est venu à son tour perturber l’écriture alors bien avancée du spectacle : le décès de l’actrice Yvette Petit, à qui Sophie Cusset souhaitait confier un rôle central.

Cette affirmation sans complexe, et même joyeuse, de la dimension autobiographique de la pièce est interrompue par l’irruption d’une comédienne en peignoir. Delphine Raoult fait son entrée, et, avec elle, c’est tout l’Ehpad imaginaire de Sophie qui débarque au plateau. C’est un vrai théâtre dans le théâtre, où chacun est un numéro. Et même plusieurs à la fois.

Lorsqu’elle n’est pas en train de rabâcher d’anciens souvenirs théâtraux (souvent avec l’autre résidente qu’incarne Sophie Cusset, elle aussi ancienne comédienne intarissable sur ses heures de gloire artistique), Delphine Raoult est Marie-Laure, la directrice de l’Ehpad. Toutes introduites par un petit rituel où le gel hydroalcoolique coule à flots, les scènes de réunion d’équipe qu’elle préside donnent à rire pour ne pas pleurer. Comme d’ailleurs l’ensemble de la pièce, dont le découpage et le ton aux airs de cabaret permettent de donner à voir avec précision ce qu’autrement on a tendance à résumer en quelques mots tels que « maltraitance » ou « abandon ».

Dans les discussions volontiers absurdes des soignants, les problèmes de manque de personnel côtoient l’organisation des fêtes de Noël – inviter l’habituel accordéoniste aveugle rémunéré par une association de soutien aux personnes handicapées ou investir dans une « clown de théâtre » à 500 euros la soirée ? – et autres aspects d’un quotidien où la mort est aussi présente que la vie.

En aide-soignant qui se métamorphose régulièrement en animateur type Club Med, comme monté sur ressorts pour chanter « Bélinda » de Claude François, Robin Causse excelle dans le subtil tragi-comique de Wonder Woman. Il est l’unique homme dans un univers de femmes qui ont toutes leur part d’héroïsme. Même la très sérieuse et enthousiaste stagiaire de l’Ehpad et des pompes funèbres incarnée par Audrey Bertrand. Dans l’Ehpad fantasmé de Sophie Cusset, les paillettes ne sont pas là pour cacher la dureté du réel : elles brillent pour aider à l’affronter.

Théâtre
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