La clause secrète de Lisbonne

Michel Soudais  • 15 novembre 2007
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Faut-il dépouiller la presse étrangère pour être informé? Je ne vous parle pas de la question de savoir qui va remplacer Cécilia auprès de Nicolas Sarkozy, sujet sur lequel des médias à gros tirages d’au-delà de nos frontières en font paraît-il des tonnes, photos des concurrentes à l’appui. Non, mon propos vise des sujets sérieux. Qui relèvent non de choix sentimentaux mais de décisions politiques.

Le Off de Sarkozy à Strasbourg

Le traité modificatif européen et le refus de soumettre ce texte à référendum en fait partie. Or voici qu’un quotidien britannique, The Telegraph , révèle sur son site internet des propos qu’auraient tenu notre président à huis-clos devant quelques parlementaires européens triés sur le volet ( «in a closed meeting of senior Euro-MPs» ), lors de son passage à Strasbourg mardi dernier, où il a tenu un discours public sur lequel j’ai déjà réagi.
Nicolas Sarkozy aurait déclaré à ce petit cercle d’initiés que les gouvernements seraient incapables de gagner des référendums sur ce qu’il persiste à présenter comme un «traité simplifié» .

Nicolas Sarkozy aurait ainsi déclaré que «la France était simplement le premier de tous les autres pays qui s’apprêtaient à voter « non ». Cela se produirait dans tous les Etats membres s’ils procédaient à un référendum. Il y a un clivage entre les peuples et leurs gouvernements.» Autre sentence présidentielle: «Aujourd’hui, un référendum mettrait l’Europe en danger. Il n’y aura pas de traité si un référendum a lieu en France, qui serait suivi par un référendum au Royaume-Uni.»

J’entends déjà les sceptiques: The Telegraph est un quotidien de droite, anti-européen, qui milite pour un référendum en Grande-Bretagne, etc. Il faudrait donc mettre en doute la véracité des propos rapportés, comme on a mis en doute durant treize ans la francisque de Mitterrand et pendant plus de dix ans l’existence de Mazarine puisque les journaux qui en parlaient étaient de mauvaise réputation. L’ennui, c’est que les propos de Nicolas Sarkozy ont tout l’air d’être vrais. Pour deux raisons.
– Ils sont parfaitement en phase avec le cynisme des principaux chefs d’Etat et de gouvernement déjà évoqué ici.
– Et surtout ils expliquent pourquoi subitement tous les Etats membres ont renoncé, de concert, à tout référendum.

Référendum interdit dans toute l’Europe

Rappelez-vous, en 2004, après la signature du Traité constitutionnel européen, onze pays sur vingt-cinq avaient prévus une ratification par référendum: le Danemark, l’Espagne, la Finlande, l’Irlande, le Luxembourg, les Pays-Bas, la Pologne, le Portugal, la République Tchèque, le Royaume Uni, la Suède.

Aujourd’hui, seul l’Irlande, contrainte par une obligation institutionnelle, envisage de procéder à un référendum sur le Traité modificatif européen.

Ce mimétisme a quelque chose d’étonnant. Car dans plusieurs pays les dirigeants politiques sont revenus sur leurs engagements antérieurs de procéder à un référendum. Avec toujours les mêmes arguments: ce traité ne change pas grand chose; il est illisible. De quoi suspecter fortement une entente entre les Vingt-Sept pour ne surtout pas demander l’avis des peuples. Une entente qui a tout l’air d’une clause secrète négociée en même temps que le traité modificatif européen adopté à Lisbonne le 19 octobre et indissociable de celui-ci.

Temps de lecture : 3 minutes
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