Céline à l’écran

Jean-Claude Renard  • 1 novembre 2007 abonné·es

Il y avait une drôle et heureuse coïncidence ce mercredi 24 octobre, sur France 2, autour de Philippe Lefait, dans son toujours remarquable « Des mots de minuit » : la présence de Pierre Dumayet évoquant son existence de lecteur, et celle d’Émile Brami venu présenter le double DVD en coffret consacré à Louis-Ferdinand Céline
[^2]. Car Dumayet a été le premier journaliste du petit écran à interviewer l’écrivain. Ça remet loin. À 1957, quand Céline publie D’un château l’autre . Il est alors un oublié du grand public. Reste le vague souvenir d’un braillard pilonnant la littérature classique en deux titres, Voyage et Mort à crédit , déraillant par la suite dans les pamphlets antisémites. Après guerre, la parution de Féerie pour une autre fois (1952) a été un échec. S’agit de fourbir, donc. Et de se prêter à l’interviouve. C’est alors un Céline ratatiné, carambouillé, tassé sur une chaise qui apparaît à l’écran face à Dumayet dans « Lectures pour tous ». Presque il bute sur le phrasé et s’applique à répondre comme un môme poli. Loin de toute diarrhée verbale. Il ressasse la hantise du terme, rappelle sa jeunesse dans une cloche sous verre, au passage Choiseul, se qualifie définitivement de raffiné, au contraire des hommes lourds et infirmes. Au fil des minutes, le vocabulaire se délie, caracolent phrases et sentences, ponctuées par un sempiternel « n’est-ce pas ? » .

Devant Dumayet, Céline est encore cravaté. Il ne le sera plus. Face à André Parinaud, un an plus tard, chez lui à Meudon, il rejoue la brinquebale de l’ahuri innocent. Surtout, il a trouvé son personnage de carcasse abandonnée aux intempéries. Fagoté mal, bouseux, perclus, où la guenille possède sa verve. Comme avec Dumayet, Céline ne regarde pas l’objectif ­ non pas qu’il le fuie, il connaît mal encore l’outil, et s’adresse parfois au cameraman. Chacune de ses apparitions à l’écran aura les mêmes allures apocalyptiques, son déhanchement de clodo, sa misère ébouriffée prêtée aux affabulations. Aux entretiens sur le petit écran, ce coffret Céline vivant ajoute une lecture-correction d’un extrait de Nord , par Céline lui-même, enfoui à la BN en 1960 mais répertorié en 2003 seulement ; un témoignage d’Elizabeth Craig en 1988, dédicataire de Voyage ; et un excellent documentaire signé Yannick Bellon et Michel Polac, daté de 1969, D’un Céline l’autre, enrichi de témoignages particulièrement intéressants (Barjavel, le Dr Willemin, son médecin, et Lucette, sa femme). Jusque-là, la matière était difficilement accessible. Voilà maintenant assemblé un document rare, pourvu d’inédits, sans faire l’impasse sur l’antisémitisme de l’auteur ni tomber dans l’ineptie hagiographique.

[^2]: Céline vivant, entretiens, biographie, (deux DVD, un livret, 2 h 57), éd. Montparnasse.

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