Délit de sale gosse

Un documentaire revient sur la polémique autour du projet de loi sur la prévention de la délinquance, avec son volet sur les troubles précoces de conduite.

Jean-Claude Renard  • 30 octobre 2008 abonné·es

Le trait est mal assuré mais le motif bien tangible, reconnaissable, commenté par le mouflet qui dessine un bonhomme armé en train de tirer sur un autre personnage. Le môme a 5 ou 6 ans. Avec un dessin pareil, forcément, il finira mal, bandit de grands chemins, avant de grossir la meute de hors-la-loi gavant nos prisons à défaut de monter sur l’échafaud.
Qu’on s’explique : en mai 2006, mi­nistre de l’Intérieur, Nicolas Sarkozy donne sa vision des mômes difficiles : « Tous les enfants qui ont un trouble de comportement ne deviennent pas des délinquants. Mais tous les jeunes délinquants ont eu, à un moment donné, des troubles du comportement. Tous les médecins, tous les spécialistes le disent : plus tôt on intervient, plus on a de chance d’arriver à quelque chose. » Et de présenter alors un projet de loi de prévention de la délinquance comprenant un dépistage des troubles dès la crèche.

Le ministre de l’Intérieur s’appuie sur un rapport de l’Inserm, Trouble des conduites chez l’enfant et l’adolescent. Des experts y font le lien entre les ­crises de colère et la délinquance, et recommandent donc de repérer, dès 36 mois, les petits qui auraient trop de caractère. Codirecteur de l’Inserm, le Canadien Richard Tremblay est à ­l’origine de ce rapport, en traqueur de déviances, de « trajectoires d’agression » , persuadé que 25 % des enfants hyperactifs seront des brigands. Au-delà du projet de loi, le débat oppose scientifiques français et anglo-saxons. Outre-Atlantique, la prédiction domine. On condamne à l’avance, faisant fi de causalité établie.

Alternant images en crèches, entretiens avec des parents, des éducateurs, des médecins, des sociologues et ­d’autres images tournées à Montréal, Maria Julienne et Christophe Muel reviennent ainsi sur la polémique, véritable enjeu de société, qui a couru entre 2006 et 2007. Une pétition contre le projet de loi avait réuni près de 200 000 signatures. « Cris et vagissements contre le fichage des nourrissons », avait titré le Canard enchaîné . Le Comité consultatif national d’éthique s’était prononcé également contre le projet. Cela n’avait pas empêché la distribution de questionnaires, souvent ubuesques, sur les comportements des enfants dans les crèches et les écoles ( « Votre enfant crie ou pleure trop ou pas assez ? Donne-t-il des coups de pied ? » ). Pour Philippe Meirieu, professeur en sciences de l’éducation, la bonne question est ailleurs : « Est-ce un système qui donne la priorité à l’éducation, à la prévention, ou est-ce un système qui repère, qui trie, qui écarte ? »
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D’autant que ce sont les familles pauvres qui sont visées. D’autant que, clairement, on perçoit dans le projet répression et fermeté pour les lascars excités. Être en dehors des clous relève de la pathologie. *« Le dressage est toujours plus efficace que l’éducation,
poursuit Meirieu. Pour produire des individus formatés, conformes, adaptables à une situation sociale donnée. Mais un enfant n’est pas un objet, ni une marionnette qu’on fabrique ! »
Bernard Golse, pédo­psychiatre à l’hôpital Necker, à Paris, élargit le propos : « On est dans un paradoxe ­incroyable : la société est elle-même de plus en plus agitée. Et plus elle est agitée, moins elle supporte les enfants agités, et plus elle crée les conditions de son agitation. Après, elle les enferme dans des carcans éducatifs ou pharmaceutiques. » Aujourd’hui, le dépistage des troubles de conduite ne figure plus dans la loi sur la délinquance. La vigilance reste de mise. Sous une autre forme, Edvige est là pour le rappeler. C’est en filigrane ce qui apparaît dans ce documentaire.

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