La chère est triste

François Simon dresse un sombre tableau des tables actuelles. Un livre cinglant et documenté.

Jean-Claude Renard  • 6 novembre 2008 abonné·es

Dans le métier, on dit de lui qu’il a la virgule assassine. Il est aussi le seul respectable. Forcément, puisque dans une cosmogonie de raclures soudoyées, d’illustres branques gavés, toujours invités, il est le seul à cassegrainer incognito. François Simon est chroniqueur gastronomique au Figaro , persistant sur Paris-Première , visage flouté. Son dernier opus, Pique-assiette, confirme la marque de fabrique de l’auteur. L’essai se veut un billet d’humeur, livrant la température de la casserole actuelle. Il y a matière quand, en moins de dix ans, la gastronomie est passée de la franche régalade à l’exercice de style, avec une assiette surfaite, affreusement onéreuse.
Simon déplore ici l’absence des cuisiniers à leurs fourneaux, relayés par des seconds déclinant à l’infini la leçon du maître pendant qu’ils cache­tonnent en Asie, en Angleterre, aux États-Unis (Bocuse, Ducasse, Robuchon, ajoutons Gagnaire), ânonnant les plats de la maison mère ; l’exportation d’une cuisine française « de cour, insupportable dans sa suffisance […], qu’une pincée d’enthousiastes essayent de vendre à l’Unesco » sous couvert de patrimoine ; le génie du catalan Ferran Adria, « copié à la truelle » à travers l’Hexagone (de Veyrat à Klein). Ce sont là quelques exemples sonnant l’échafaud, parmi d’autres, dans un sombre tableau.

Restent tout de même des authentiques, déployant une cuisine d’auteur, comme Bras (Laguiole), Roellinger (Cancale), bien connus, ou Jean-Marc Boyer (le Puits du trésor, à Lastours, dans l’encolure de Carcassonne). Simon aurait pu ajouter Valère Diochet (le Pont aux chats, Strasbourg). Des gars réconciliant avec la table. Au taquet. Sans esbroufe. Haute voltige.
Au-delà d’un constat éclairé, sans tomber dans le désespoir, François Simon dit une époque virée dans la fuite en avant, « dans un siècle de surnourris et leurs débats obscènes sur comment moins manger alors que la moitié du monde crève la dalle » . Fini de mâcher. Faut avaler. Même la poudre aux yeux ; et les vessies, à défaut de lanternes.

Culture
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