Sarkozy se relance à coups d’emprunts

Sous la solennité de la mise en scène, malgré un discours émaillé de références républicaines et de condamnations du capitalisme financier, c’est bien la fin du modèle social français qu’a annoncée le chef de l’État.

Michel Soudais  • 25 juin 2009 abonné·es
Sarkozy se relance à coups d’emprunts

La forme ne doit pas faire oublier le fond. À Versailles, le chef de l’État a sciemment joué de la mise en scène solennelle que lui permet la modification constitutionnelle et de la nouveauté de cette manière de s’adresser au pays, par-delà les parlementaires réduits à un rôle de figuration, pour faire oublier la continuité de son discours libéral.
Sur la forme, l’innovation est pourtant limitée. « Depuis 1875, le chef de l’État n’avait pas le droit de venir parler devant les Assemblées. Il ne pouvait communiquer avec elles que par des messages écrits qu’on lisait à sa place » , a d’emblée rappelé Nicolas Sarkozy. Lundi, le président de la République a lu lui-même un ­discours écrit par d’autres. Et sans grand relief. Après quarante-cinq minutes de monologue présidentiel, on cherchait encore la vision présidentielle des évolutions du monde que nous annonçaient les ministres, les dignitaires de l’UMP et les commentateurs patentés. Nicolas Sarkozy n’a rien dit sur les relations internationales. Comme si le domaine réservé du président de la République devait plus que jamais le rester. Rien non plus sur la politique européenne de la France.

En guise de vision, le chef de l’État s’est contenté de disserter sur les « deux types de mondialisation » qu’il oppose. L’une, « conflictuelle », est celle « qui privilégie la croissance externe, chacun cherchant par tous les moyens à prendre les emplois et les marchés des autres » et « pousse à l’extrême la logique de la compétitivité à tout prix en recourant à toutes les formes de dumpings, à des politiques commerciales agressives, à l’écrasement du pouvoir d’achat et du niveau de vie ». L’autre, « coopérative » , celle que défend selon lui la France, « privilégie la croissance interne, c’est-à-dire un modèle de développement dans lequel chacun produisant plus et consommant davantage contribue au développement de tous » et, contrairement à la première, « lie progrès économique et progrès social ».

À le croire, la crise mondiale créerait «  de nouveau des circonstances favorables à cette aspiration française à mettre l’économie au service de l’homme, et non l’inverse » . Mieux, la crise aurait « remis le modèle français à la mode » . « Hier décrié, il se trouve aujourd’hui reconnu pour son rôle d’amortisseur social » , s’est-il félicité. Un tel système vaudrait donc qu’on le préserve. Pas du tout ! Sans craindre de se contredire, Nicolas assure que « la crise est aussi un puissant révélateur de nos défaillances et de nos faiblesses » et qu’il n’y a rien de plus urgent que de tout repenser.

« Rien n’était moins propice aux grands changements que l’inertie des temps ordinaires » , assure-t-il. La crise est, pour lui, « une chance historique » . Une occasion unique de réformer le pays au gré des obsessions de la droite de toujours. C’est à cette aune que Nicolas Sarkozy revisite les valeurs de la République. L’égalité républicaine, il n’est pas contre, mais elle a dérivé en « égalitarisme » . La laïcité, c’est bien, à ceci près qu’aujourd’hui «  nous ne sommes pas menacés par le cléricalisme » mais « davantage par une forme d’intolérance qui stigmatise toute appartenance religieuse » . La liberté, oui, il veut bien, mais «  ce n’est pas vivre sans contraintes et sans règles »  ; on construira donc « des places de prisons » pour qu’il n’y ait plus « 82 000 peines non exécutées » faute de places dans les prisons. Telles sont les axes philosophiques du changement qu’appelle de ses vœux le chef de l’État.

Ce plaidoyer pour le changement ne vaut toutefois pas pour la politique du gouvernement, dont Nicolas Sarkozy, lundi, à Versailles, a tracé les grandes lignes dans la seconde partie de son discours. Suppléant son Premier ministre, le président de la République n’a annoncé ni virage ni rupture dans la politique qu’il conduit depuis deux ans. Mais la poursuite de celle-ci et, sur certains points, une accélération de la mise en œuvre de son projet.
Les cadeaux fiscaux aux plus aisés sont ainsi prorogés puisque le chef de l’État refuse toute augmentation d’impôt, « car cela retarderait longtemps la sortie de crise » . La rigueur qu’il dit refuser –  « Je ne ferai pas la politique de la rigueur parce que la politique de la rigueur a toujours échoué »  –, c’est celle qui mettrait à contribution les hauts revenus ou les entreprises, dont la suppression de la taxe professionnelle est confirmée. Car, pour le reste, les caractéristiques d’une politique de rigueur sont bien présentes : diminution drastique des emplois publics avec la confirmation du non-remplacement d’un départ sur deux dans la Fonction publique, sujet sur lequel Nicolas Sarkozy a affirmé que le gouvernement ne reculerait pas ; poursuite de la « maîtrise des dépenses de santé » –  « nous irons plus loin » , a-t-il annoncé ; traque des « niches sociales qui font perdre à la Sécurité sociale des recettes dont elle a tant besoin », mais pas un mot sur les niches fiscales, ni sur les quelque 30 milliards d’exonération de charges sociales accordés aux entreprises et qui plombent les comptes de la protection sociale, etc.

Ce ne sont pas les seules réformes, déjà engagées depuis le début de son mandat, que le chef de l’État s’est appliqué à défendre. Il a promis d’aller « jusqu’au bout » de la loi Hadopi sur la protection des droits d’auteur sur Internet, malgré la censure du Conseil constitutionnel sur son volet répressif. « Jusqu’au bout » aussi des réformes de l’État et de la carte administrative « parce que la proximité du service public ne saurait justifier la déperdition de nos moyens » . Sur le chantier de la réforme des collectivités territoriales, il a assuré enfin qu’il ne se « dérobera pas » sur la réduction annoncée du nombre d’élus régionaux et départementaux.

Poursuivant sur ses orientations libérales – moins d’État, moins de fonctionnaires, moins d’élus –, Nicolas Sarkozy a aussi promis de revenir sur un système de retraite qui a fait son temps. « Il faudra que tout soit mis sur la table : l’âge de la retraite, la durée de cotisation, la pénibilité », a-t-il prévenu, annonçant qu’ « à la mi-2010 » il prendra ses responsabilités. La réouverture de ce dossier n’est pas une surprise. Le chef de l’État s’était déjà engagé devant le Conseil européen, en mars dernier, à œuvrer à « une nouvelle amélioration [sic] des systèmes de retraite »  [^2], ce qui risque de se traduire par un relèvement à 65 ans ou plus de l’âge du départ à la retraite.
Devant ses pairs européens, Nicolas Sarkozy s’était aussi engagé à s’en tenir à une « croissance zéro des dépenses publiques » . Un engagement en partie tenu quand il fustige « le mauvais déficit » qui finance « l’excès de bureaucratie, les frais de fonctionnement trop élevés » et annonce qu’il « doit être ramené à zéro par des réformes courageuses ». Beaucoup moins quand il annonce « un emprunt pour financer nos priorités nationales » . Tout emprunt génère de la dette. À moins que cet emprunt, comme le dernier en date, lancé par Balladur en 1993, ne soit gagé sur le produit de privatisations d’entreprises publiques.
Lundi, Nicolas Sarkozy n’a peut-être pas dévoilé tous ses projets pour achever le modèle français.

[^2]: Recommandation du Conseil, Ref. 8250/09.

Politique
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