La justice en jugement

Thierry de Lestrade
brosse le tableau d’une institution trop souvent soumise aux pressions
du pouvoir.

Jean-Claude Renard  • 12 novembre 2009 abonné·es

Au moment où le juge d’instruction entre en résistance, où la fonction se mesure et se confronte, jusque dans les médias, au pouvoir exécutif afin de conserver une justice indépendante et égale pour tous, ce documentaire de Thierry de Lestrade donne les clés pour saisir cette cosmogonie complexe, voire opaque. Avec des chiffres en guise de préambule : le Conseil de l’Europe attribue à la France la 35e place sur 45 pays membres, selon la part du produit intérieur brut, octroyée à la justice. Avec 6,6 milliards d’euros en 2009, l’État français consacre 0,8 % de son budget à la justice (en Allemagne, c’est deux fois plus). Avec 8 140 magistrats, la France compte 12 magistrats pour 100 000 habitants (en Allemagne, à nouveau, on en compte le double). La messe est dite, déjà, sur l’état de la justice. Reste à montrer cet état. Tel qu’il est. Pas glorieux. Rehaussé d’interventions (Éric de Montgolfier, Renaud Van Ruymbeke, Éva Joly et Serge Portelli, pour les plus connus, mais encore vice-procureur, avocat, juge d’instruction, substitut, auditeur de justice), ce documentaire de Thierry de Lestrade est implacable.

L’affaire d’Outreau, surlignant les carences de l’institution, a été suivie de déclarations de principes. Finalement, « on est assez content que Burgaud soit seul responsable. Ça évite de se poser les vraies questions » , estime Éric Dupond-Moretti, avocat au barreau de Lille. Avant que Laurent Lèguevaque, ancien juge d’instruction, ne précise : « L’État attend de moi que je sois un bon fonctionnaire, pas de vague, qui fasse des dossiers avec des pauvres gens, qui cerne les quartiers, pour que le politique puisse dire : on lutte contre la toxicomanie, on lutte contre le viol, on lutte contre tout. » C’est justement ce système qui est décortiqué, révélant une institution étranglée, qui manque de temps, de moyens. Accumulation des charges, conditions de travail déplorables, dysfonctionnements en cascade.

Le second point sur lequel insiste le réalisateur est celui des pressions du parquet (directement relié au ministère). Dans une justice hiérarchisée, les circuits fonctionnent parfaitement. Du haut, jusqu’aux subordonnés. Où il s’agit de faire comprendre sans expliquer, faire appliquer sans donner d’instruction. Un jeu subtil, où se mêle la notion de carrière, les règles de soumission, qui dit l’impossible indépendance. Et une justice sous tutelle.

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