« Ils ne sont pour rien dans mes larmes », d’Olivia Rosenthal : Projections privées

Dans « Ils ne sont pour rien dans mes larmes », d’Olivia Rosenthal, des anonymes évoquent leur film-fétiche.

Christophe Kantcheff  • 19 avril 2012 abonné·es

Les Films de ma vie, c’est le titre d’un recueil d’articles de François Truffaut. Chacun a les films de sa vie. Nul besoin d’être critique, cinéaste ou même cinéphile. Il suffit qu’un film vous ait marqué pour toujours. Et qu’il y ait eu rencontre : celle d’un être jeune, traversé par ses rêves, contraint par les interdits de son éducation, aspirant à une existence belle, aventureuse ou profonde, et d’une œuvre cinématographique. Entre eux, se crée une résonance, dont la base est souvent biographique.

Olivia Rosenthal publie un petit livre original, Ils ne sont pour rien dans mes larmes. Elle a rencontré des personnes qui lui ont raconté quel était le film de leur vie, et quelles incidences il avait eues sur elles.

La romancière en a tiré quatorze textes courts. Ce ne sont pas de simples témoignages. D’abord, parce que ces personnes s’emparent des films (de ce point de vue, le titre de chaque texte est éloquent : « l’Arrangement de Jean », « Thelma et Louise ­d’Annick »…), les revisitent, les interprètent.
Même si ces films les ont bouleversées intimement, elles gardent avec eux une distance critique. Elles les considèrent toujours comme des œuvres, sans occulter les phénomènes d’identification ou d’illusion qui s’y rattachent. « Nous sommes peut-être abusés par le cinéma, mais nous aimons les erreurs dans lesquelles il nous plonge », dit Anne-Sophie à propos de Rouge, de Kieslowski. L’art « n’est pas nécessairement coupé de la vie », rappelle la quatrième de couverture. Mais il ne s’y fond pas non plus. C’est ce qui rend le dialogue si fécond.

Ensuite, ce ne sont pas de simples témoignages, parce que le travail d’écriture est patent. L’auteure resserre les choses dites en phrases saillantes : « Il y a des gens qui font semblant de croire que grâce à Eraserhead la lucidité qu’ils ont sur eux-mêmes ne se transformera pas en déception » (François, à propos du film de Lynch). Ou bien : « On peut vivre par procuration des choses incroyablement douloureuses » (Denis, à propos de Nuit et brouillard).

Plus flagrant : deux textes, plus élaborés, ouvrent et ferment le livre. Ils ne renvoient à aucun prénom. Autobiographie ? Fiction ? Le dernier d’entre eux, « les Larmes », évoque le finale des Parapluies de Cherbourg de Demy. Dans un petit chef-d’œuvre de tension et de suspense, la narratrice met en scène les pleurs qui la gagnent inévitablement face à cette séquence. Ils ne sont pour rien dans mes larmes le prouve : le cinéma est là pour mieux nous connaître nous-mêmes.

Culture
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