Tous les bouts du monde

Saint-Brieuc tient son premier festival de photoreportage. Une quinzaine d’expositions et autant de regards sur la beauté comme sur le drame.

Jean-Claude Renard  • 1 novembre 2012 abonné·es

En quête d’images rares, de reportages au long cours non moins rares, les curieux ou les spectateurs avertis pouvaient compter sur Perpignan et son Visa pour l’image, se rendre aux Promenades photographiques de Vendôme, visiter les Photaumnales à Beauvais. Ils peuvent aujourd’hui compter sur une nouvelle manifestation avec le festival international Photoreporter en baie de Saint-Brieuc. Suivant le modèle de ses aînés (Jean-François Leroy, directeur de Visa pour l’image, est ici membre du jury), avec une quinzaine de photographes exposés, de dix nationalités, la manifestation se déploie sur plusieurs lieux, dans et hors Saint-Brieuc, jusqu’à Langueux, Plérin et Ploufragan.

Cette première édition, proposant des travaux inédits, mêle des reporters confirmés et de plus jeunes photographes. Tous embarqués dans la volonté de témoigner, de rapporter des images du bout du monde, sans effet de manche. Parmi eux, Jim Brandenburg, longtemps globe-trotter pour National Geographic, pour qui ce bout du monde commence en Bretagne. Avec ses côtes escarpées, ses terres fouettées par les embruns, ses trognes burinées et sauvages, fondues dans le paysage, dans une nature encastrée sur de grands formats en couleurs, des couleurs instables, selon un ciel farouche, retors, négociant avec le vent, la pluie, les éclaircies. Une âpre beauté confrontée à une autre, saisie par Ami Vitale, au Cachemire, terre lointaine, martyrisée, déchirée par les convoitises de l’Inde et du Pakistan, et redevenue une priorité touristique, aux pratiques religieuses ferventes, et néanmoins tolérante. C’est cette tolérance que fixe la photographe dans une atmosphère de quiétude, sous une lumière douce, presque féerique, quasi impressionniste, loin des clichés répandus dans les médias. Loin des médias aussi et pourtant bien actuel est le conflit traversant la frontière entre le Bangladesh et l’Inde, et que rapporte Gaël Turine, en noir et blanc. En 1993, bouleversant les mécanismes socio-économiques, culturels et religieux, l’Inde a entamé la construction d’un mur de séparation avec son voisin bangladais. Aux frontières naturelles que sont les cours d’eau s’ajoute désormais, sur 3 200 kilomètres, une clôture de béton ou de fil de fer, sévèrement surveillée par les troupes indiennes, prétendant se protéger de l’infiltration de terroristes islamistes et de l’immigration bangladaise. Si quelques goulets d’étranglement concentrent le marché noir, le trafic de drogue, la contrebande, en réalité, la presque totalité des victimes sont des Bangladais qui, pour des raisons économiques, familiales ou sanitaires cherchent à passer illégalement de l’autre côté du mur. Le nombre d’arrestations, de victimes de torture et de morts en fait la frontière la plus sanglante au monde. Tandis que les crimes des troupes indiennes restent impunis, tandis que l’armée bangladaise ferme les yeux, évitant de se fâcher avec son géant voisin.

Une tragédie sombre, au diapason du sort réservé aux « mangeurs de cuivre » de la République démocratique du Congo, où l’exploitation minière est un enjeu économique majeur pour le régime en place. Un enjeu vital aussi pour les humbles creuseurs artisanaux, hommes, femmes et enfants, photographiés par Gwen Dubourthoumieu, exerçant sans aucune mesure de protection et de sécurité, et dont les révoltes sont systématiquement et violemment réprimées par les affairistes proches du pouvoir. La mine, c’est une identité que la Belgique a connue. Une Belgique ouvrière, ou ce qu’il reste de stigmates, saisis en noir et blanc par Cédric Gerbehaye, attaché à montrer un territoire, avec ses traditions, ses fêtes folkloriques, ses peuples, ses métiers : un docker assoupi sur le port d’Anvers ; un gazoduc au-dessus de maisons ouvrières à Charleroi ; un mécano de la cokerie d’Arcelor-Mittal, à Ougrée-Seraing, bientôt au chômage ; les vestes de fondeurs d’un haut fourneau ; la procession de pénitents à Furnes ; des travailleurs de nuit chargés de l’entretien des tunnels de Bruxelles… Un territoire qui semble en phase d’extinction. Dans cet esprit, vidée de ses habitants, triste et désolée, la rue des Verriers à Marchienne-au-Pont n’annonce rien de bon.

Culture
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