Grève de la faim à PSA : « Dès que j’ai commencé à militer, ils m’ont tout retiré »

Les sept syndicalistes de PSA à Poissy sont très affaiblis après quarante jours de grève de la faim. Ce mouvement réclame la fin du harcèlement moral et demande une enquête sur les risques de santé sur le site.

Thierry Brun  • 31 octobre 2013 abonné·es

Au quarantième jour de la grève de la faim des sept syndicalistes SUD-Auto, la négociation avec la direction s’est conclue par un nouvel échec. Ce lundi 28 octobre, Frédérik Bernard, maire PS de Poissy, était pourtant venu en renfort. Le samedi précédent, il s’était rendu auprès des grévistes après avoir été très vivement interpellé par leur collectif de soutien [^2]. Celui-ci, au lendemain d’une négociation avortée avec la direction de PSA, avait en effet mobilisé ses troupes pour envahir la mairie de Poissy et dénoncer les conditions sanitaires déplorables imposées aux grévistes de la faim. Des salariés de Swissport Cargo, en grève depuis un mois sur le site de l’aéroport Charles-de-Gaulle, étaient venus prêter main forte. Le maire « n’est pas ressorti indemne de ce moment passé sous le barnum », témoigne Laurence Sauvage, secrétaire nationale du Parti de gauche, évoquant sa visite sous le chapiteau de toile blanche planté le long du trottoir, près de l’entrée du pôle tertiaire PSA Peugeot Citroën, boulevard de l’Europe. Il était « abasourdi et bouleversé par la situation, les grévistes étant soit installés sur des fauteuils, soit allongés sur des lits de camp, leur état de santé nécessitant l’allongement total, notamment pour Abdi-Ilah, moribond, et Hicham », ajoute la conseillère régionale du Nord-Pas-de-Calais, qui a fait le déplacement depuis Arras presque tous les jours depuis le début du mouvement. L’élue est en colère : « PSA leur a tout pris, en les placardisant, en les harcelant, en les méprisant. La seule chose sur laquelle PSA n’a eu aucun poids, c’est leur dignité, car leur dignité n’est pas à vendre. »

Alors que la tempête du week-end a mis en péril leur campement, les grévistes ont été déménagés, dans la nuit de dimanche à lundi, à quelques mètres, en face du boulevard de l’Europe, dans les locaux de la Maison des associations, en attendant que les tentes et que le matériel soient remis en état. Lundi, le campement était donc toujours devant le pôle tertiaire. Mêmes banderoles, même indifférence apparente des salariés. L’état de santé des sept grévistes de la faim s’est encore aggravé depuis notre dernière visite, cinq jours plus tôt. Les semaines précédentes, les grévistes se réfugiaient dans leur voiture à l’arrivée du froid ou de la pluie. Mais ces derniers jours, ils ont accusé le coup : les médecins qui les suivent, réunis eux aussi dans un collectif, ont exprimé leur inquiétude dans un communiqué : « La moindre infection, le moindre traumatisme survenant dans ces conditions peuvent avoir des conséquences graves sur le plan médical.  […] Nous espérons vivement que rien d’irréversible pour la santé de ces grévistes n’arrive d’ici là, mais personne devant cette situation fragilisant des êtres humains ne peut prédire ce qui peut advenir. » Au trente-cinquième jour de grève de la faim, lorsque nous l’avons rencontré, Abdi-Ilah se déplaçait d’un pas mal assuré vers un véhicule abritant deux de ses camarades, Ahmed et Houssem. Et Ahmed Oubakhti, très amaigri, ne pouvait plus se tenir debout. Allongé sur le siège avant de sa voiture, garée près des tentes, il trouve encore suffisamment d’énergie pour dénoncer les méthodes de la direction : « Elle joue sur le fait qu’on commence à être faibles. Mais si elle ne satisfait pas nos revendications, on restera », assure le syndicaliste, secrétaire de SUD-Auto PSA Poissy, répétant à qui veut l’entendre : « On ne veut pas arrêter, on veut aller jusqu’au bout et faire reculer la direction. » Le protocole de fin de grève demande que « les syndicalistes en grève de la faim réintègrent leur poste, des moyens légaux pour leur syndicat et une enquête sur les risques psycho-sociaux, car il y a de gros problèmes sur le site », résume Fabienne Lauret, syndicaliste de Solidaires et militante du NPA. Le 23 octobre, après neuf heures d’âpres négociations entre la direction et les sept syndicalistes, trois d’entre eux ont fait un malaise, l’un devant être conduit à l’hôpital de Poissy. « On était sur le point d’aboutir à un accord, témoigne Freddy Bruneel, secrétaire départemental de l’Union syndicale Solidaires des Yvelines qui a assisté aux négociations. Même le sous-préfet des Yvelines était satisfait de l’évolution du texte, qui a pourtant été remis en question par la direction du site. On a ressenti un mépris total, une volonté d’étouffement des syndicalistes en grève de la faim. »

Le syndicat SUD pointe l’attitude des dirigeants du site, « restant sur le terrain de la répression plutôt que d’aller sur celui du dialogue social. Les propositions de réintégration sur des postes sous-qualifiés, notamment, sont inacceptables et ressemblent à s’y méprendre à une sanction ». Lors de ces négociations, « PSA était représentée par la direction des relations “antisociales” de Poissy, celle-là même dont les méthodes sont mises en cause par les grévistes ». Mais aussi par la cour d’appel de Versailles, qui, le 16 mai dernier, condamnait la direction du site pour discrimination syndicale et harcèlement moral. « Depuis mars 2010, je ne fais rien, raconte de son côté Ahmed Oubakhti. Ils m’ont retiré de la production depuis que je suis syndicaliste SUD. » À 38 ans, marié et futur père, cet agent de maîtrise est pourtant « chargé du suivi de la qualité des C3 et des DS3 », et parmi les meilleurs techniciens de projet. « Quand on n’était pas syndicalistes, on avait tout. Moi, j’étais bien vu, mais, dès que j’ai commencé à militer, ils m’ont tout retiré. » En dépit des obstacles, les militants de SUD revendiquent « un syndicat pérenne qui agira dans la durée au sein de l’entreprise, pour l’intérêt des salariés » .

Il faut dire que la direction n’hésite pas à utiliser tous les moyens pour ôter sa crédibilité au mouvement. Le 17 octobre, après des commentaires sur Twitter à la suite de la publication d’un article de Politis sur la grève, le service de communication de PSA a contacté le journal pour expliquer en quoi SUD n’est pas une organisation syndicale représentative au sein de l’entreprise : « Lors des dernières élections du CE PCA [Peugeot Citroën Automobiles] en mars 2011, SUD a recueilli en pourcentages exprimés 3,6 % à Poissy et 1,92 % au niveau national. Voilà pourquoi nous indiquons que SUD est une organisation non-représentative. À Poissy, SUD est la sixième force syndicale avec un délégué du personnel suppléant. » Or, une élection professionnelle s’est tenue en mars 2013. SUD est arrivé quatrième avec 6 % des voix, obtenant un délégué du personnel titulaire avec son suppléant… Une autre réaction curieuse de la direction a été relayée par le site de RTL. PSA dit regretter qu’ « au bout d’un mois, ces salariés refusent toujours d’être vus par des médecins du pôle tertiaire ». Mais, depuis le premier jour de grève, les syndicalistes de SUD sont suivis par un collectif de médecins, dont certains sont membres de la Ligue des droits de l’homme.

Aux abords du site, les témoignages anonymes de salariés apportent un éclairage édifiant sur la gestion des accidents du travail et quant à l’indépendance des médecins de PSA. Dans un texte de soutien aux grévistes, est pointée la dégradation des conditions de travail des salariés et des syndicalistes grévistes. Le syndicat SUD décrit ainsi « l’omerta entourant PSA, qui s’est rendue coupable de graves atteintes à la santé mentale et physique de ses salariés. Sa gestion du personnel est coercitive, les formes de harcèlement moral sont nombreuses (mises au placard, sanctions arbitraires, intimidations, vexations…), sans oublier la discrimination syndicale à l’égard des militants et sympathisants de SUD-Auto. La répression ciblée sur quelques syndicalistes SUD est la partie visible des pratiques managériales généralisées à tous les salariés de PSA Poissy, instaurant une véritable gestion par la peur ». Chaque jour, des militants associatifs et politiques se sont relayés pour soutenir les sept syndicalistes grévistes de la faim, tel Brahim Zaouaou, cariste sur le site de PSA Poissy, qui a quitté la CGT pour rejoindre SUD et « les premières personnes qui osent se battre contre cette direction ».

[^2]: Rassemblant Parti de gauche, NPA, LDH, Alternative libertaire, EELV, Attac et SUD Solidaires.

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