Presse alternative : « Irrévérencieux, critiques, novateurs… »

Le mensuel le Ravi a organisé la première rencontre de la presse dite « pas pareille ». L’analyse de Michel Gairaud, son rédacteur en chef.

Michel Gairaud  • 10 octobre 2013 abonné·es

La presse pas pareille ? Il n’y en a pas de définition dans le Petit Robert, ni dans aucune convention collective ou nomenclature du ministère de la Communication. Et pourtant, elle existe ! Ce sont des titres produits par des passionnés qui s’obstinent à fabriquer, à diffuser et à vendre des journaux papiers non formatés, à l’écart des autoroutes médiatiques où l’on communique plus qu’on n’informe. Objets à forte valeur éditoriale ajoutée, ces titres ne peuvent être résumés en un simple «  pitch  », fût-il alternatif. Mais, dans son pluralisme, la presse pas pareille (PPP) est, tour à tour ou à la fois, irrévérencieuse, critique, novatrice, satirique, engagée… Le mensuel le Ravi – 111 numéros au compteur – a organisé, le 28 septembre à Marseille, une première rencontre nationale des « pas pareils » afin de fêter dignement ses dix ans. Il bataille en Provence-Alpes-Côte d’Azur pour faire vivre une presse poil à gratter dans une région gangrenée par le clientélisme et la xénophobie. Le Ravi bouscule les règles du marketing médiatique en mélangeant joyeusement les genres : humour à fond et sujets de fond, dessin de presse et investigation… Seize titres venus de toute la France ont répondu à notre appel [^2]. Il a été pas mal question de finance. L’argent, c’est connu, est le nerf de la guerre. C’est aussi le moteur de l’indépendance. La PPP n’appartient pas à de grands groupes, à des marchands d’armes, des bétonneurs ou autres dealers de téléphonie mobile. Elle refuse la publicité ou ne la tolère qu’étroitement encadrée. Cela fait sa force mais aussi sa faiblesse. Nos titres sont souvent plus pérennes que d’autres, pourtant plus richement dotés en capitaux, car ils sont portés par des équipes motivées et des lecteurs responsabilisés. Mais la PPP doit lutter pour survivre. C’est le cas du Ravi, dont l’avenir dépend actuellement d’une levée de fonds (abonnements, dons) via un « Couscous Bang Bang », une formule de financement participatif [^3].

Il a été aussi question de statuts. Ceux de la PPP sont très divers. Certains ont choisi une forme coopérative – comme Alternatives économiques, l’Âge de faire, Regards … –, d’autres sont édités par une association – comme Cassandre/Horschamp, la Décroissance, Silence … Certains ont opté pour une SARL ou une SAS, comme des entreprises classiques, mais s’appuient parfois, à l’image de Politis, sur une association de lecteurs. Tous, même s’ils visent la rentabilité, ont un point commun là encore : leur finalité n’est pas de faire des profits ni d’enrichir des actionnaires. Tous ont la volonté d’impliquer salariés et lecteurs dans leur gouvernance.

Nos amis du Ravi, « journal satirique » de Provence-Alpes-Côte d’Azur, nous ont invités, le 28 septembre, à une journée de réflexion de « la presse pas pareille ».

L’expression est une trouvaille qui a le double mérite de ne pas trop se prendre au sérieux et d’éviter les définitions piégeuses. Car, au fond, les seize publications présentes avaient peu de choses en commun si l’on considère leur structure et leur économie : il y avait là des « gros » (tout étant relatif), des « moyens », des « petits », et même des « tout petits », fabriqués héroïquement par des bénévoles réunis en association. Il y avait là des nationaux et des régionaux, des hebdomadaires et des mensuels, des trimestriels et des parutions à fréquence disons « aléatoire ». Sans même parler des projets rédactionnels, tous heureusement singuliers.

Mais, en commun, il y avait un farouche esprit de liberté qui surpasse les différences. Une volonté de ne rien devoir à personne, sinon à nos lecteurs. Rendre compte ici de la discussion serait ingrat. Nous avons parlé de cadres juridiques, de problèmes de distribution, de papier et de numérique, de pub et d’aide à la presse, de ventes en kiosques et d’abonnements, bref, de nos petites économies, et pas du tout d’idéologie, chacun en ce domaine respectant les choix de l’autre. Ce n’était pas très glamour, mais c’était sérieux. Et bigrement intéressant.

Il n’y avait pas, autour de la table, de modèles ni de prescripteurs de recettes. Mais quelques bonnes idées pour le profit de tous.

La diffusion a également fait l’objet de discussions. Le système de distribution de la presse, mis en place à la Libération pour assurer le pluralisme, est en crise. Les marchands de journaux ne gagnent pas leur vie. Les « petits » titres n’ont pas les moyens de « bouillonner », c’est-à-dire d’imprimer de grandes quantités de journaux, dont la plupart finiront à la poubelle, pour espérer en vendre une faible partie. Le statu quo n’est plus tenable, mais la réforme que les grands groupes veulent imposer, visant à déréglementer le marché, n’annonce rien de bon. La PPP a parfois fait le choix de déserter les kiosques, misant tout sur les abonnements et des circuits alternatifs. C’est le cas de Golias et de Silence. Mais comment, alors, sortir d’une logique de « niche » et toucher un public plus large ? Quelles leçons tirer de ce premier rendez-vous marseillais de la PPP ? Qu’il est urgent de poursuivre ce brassage d’idées et d’expériences ! Qu’il faut, en respectant les spécificités des choix et des modèles, jouer les synergies, mutualiser les moyens, faire entendre notre voix. Alors que les radios associatives, autrefois dites « libres », ont obtenu une reconnaissance, la PPP peine à rompre son isolement et à se fédérer. Il y a pourtant matière. Les aides à la presse, légitimes, sauf, à considérer que la liberté d’informer peut être régulée par le seul marché, sont souvent attribuées à l’aveugle. Télé 7 Jours reçoit plus de 7 millions d’euros là où Politis, le Ravi et les autres se contentent de quelques miettes d’aides au postage. L’argent public gagnerait à être mieux utilisé et distribué sur critère, hors de toute relation clientéliste.

L’association La Tchatche, qui édite le Ravi, a fait le choix, comme d’autres entreprises de l’économie solidaire, de mixer ses ressources : ventes, subventions publiques ou de fondations sur les actions d’éducation populaire, contribution en nature de bénévoles. Notre conviction est que – au côté du service public de l’information, qu’il faut aider à renouer avec ses missions d’origine – tout doit être fait pour favoriser le développement de médias citoyens, indépendants, d’information générale. Même si notre pratique nous a conduits à rassembler d’abord des médias « papier », des convergences sont également possibles et souhaitables avec certains titres en ligne – eux aussi « pas pareils » –, dont l’émergence représente une excellente nouvelle. Le sort de la PPP n’est pas qu’une affaire de journalistes. La vitalité de cette presse – riche de sa diversité et de son ancrage local – est un baromètre de la qualité du débat démocratique. Et elle ne prend sens qu’avec vous : les lecteurs pas pareils.

[^2]: L’Âge de faire, l’Agglorieuse, Alternatives économiques, Au Fait, Barricade, Cassandre/Horschamp, CQFD, la Décroissance, l’Écho des collines, la Feuille, Golias, le Nouveau Jour J, Politis, Regards, Silence, Vmarseille.

[^3]: Pour participer : www.leravi.org

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