L’art de s’accommoder des restes

Stéphan Martinez, du Petit Choiseul, a mis au point un système permettant de collecter et de valoriser les déchets des restaurants. Devançant une réglementation qui prendra effet en 2016.

Jean-Claude Renard  • 8 janvier 2015 abonné·es
L’art de s’accommoder des restes
© Photo : Justin Sullivan/Getty Images/AFP

Le Petit Choiseul, au cœur de Paris, dans les replis des passages. Un bistrot aux relents d’authenticité, des airs de jadis et d’antan. Derrière le comptoir, une poubelle de bio-déchets, où s’entassent le marc de café et les viennoiseries invendues. Au fond de la salle, un autre récipient additionne les restes d’assiette. À l’étage, au bout d’un escalier en tire-bouchon, s’agite la cuisine. Entre deux plans de travail et les fourneaux, dans une poubelle transparente, les épluchures de fruits et de légumes s’ajoutent à ce qui reste d’une viande ou d’un poisson.

Une poubelle transparente, parce qu’on « a vite fait de repérer ce qu’on jette, de mesurer ce qu’on fait », explique Stéphan Martinez, à la tête de l’établissement. Une manière de lutter contre le gaspillage, de mieux mesurer les portions. Une raison économique, mais pas seulement : en 2016, les restaurateurs seront dans l’obligation de valoriser leurs bio-déchets, s’ils en produisent plus de 10 tonnes par an. Jusqu’alors, la limite était fixée à 120 tonnes. Changement radical. Sous peine d’une amende de 75 000 euros pour ceux qui n’appliqueraient pas les règles. Stéphan Martinez n’aura pas attendu 2016. Dans son précédent restaurant, il avait créé un lombricompostage de façon artisanale, au fond de sa cave. Il est aujourd’hui à l’origine de cette démarche peu commune dans le milieu de la restauration : la collecte des bio-déchets. Stéphan Martinez est d’abord sensible au fait qu’il n’y a plus de vie organique dans les sols, alors que c’est « le plus bel engrais de la planète ». Il faudra bien passer un jour de la sensibilisation à l’action. Et de créer la Moulibox, une boîte à gâteau adaptée au compost, qu’il fait circuler, connaître. Au fil des tâtonnements et des réflexions, avec Roger Beaufort, spécialiste environnemental, il imagine une collecte générale auprès des restaurants. Le but : récupérer les bio-déchets, les valoriser en transformant les pertes alimentaires en méthane, énergie et fertilisant, dans une unité de méthanisation installée dans l’Essonne, à Étampes. « Du début à la fin, on est dans une énergie positive », explique Stéphan Martinez. Soutenu par le Synhorcat (Syndicat national des hôteliers, restaurateurs, cafetiers et traiteurs), le coût du projet est de 300 000 euros, financé par l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (Ademe), la Région et la Ville de Paris.

Cette sensibilisation passe avant tout par la pédagogie, dans un milieu peu regardant sur les déchets et plutôt familier de l’incinérateur et de la décharge. Devenu vice-président de la commission qualité et développement durable du Synhorcat, Stéphan Martinez s’y colle, fait le tour des popotes. La lutte contre le gaspillage est un argument de poids. « La matière organique, c’est notre outil de travail, on vit avec tous les jours ! » Après quoi, il s’agit de faire comprendre, au-delà des épluchures, que les serviettes en papier, « c’est aussi de la biomasse ». Autre motivation de taille : changer l’image ternie de la profession. Stéphan Martinez obtient de mettre son projet pilote à l’épreuve en février 2014, en créant la société Moulinot Compost et Biogaz (clin d’œil à peine appuyé au personnage de Coluche, monsieur Moulinot, candidat au schmilblick, vendeur de vers de terre). Ce sont alors trente restaurateurs qui participent à l’opération, situés entre les Ier, IIe et VIIIe arrondissements parisiens. Les sacs-poubelles en plastique transparent recyclables, mis à la disposition des établissements, sont placés dans des bacs collectés tous les 3 ou 6 jours, entre 4 heures et 6 heures du matin. Ce sont là des poubelles à fond rond, plus simples à nettoyer, à désinfecter, plus faciles à manipuler. Même les camions-poubelles sont pensés : des Piaggio compacts, susceptibles de mieux circuler dans les rues étroites de la capitale, fonctionnant au méthane, et silencieux.

L’opération se donnait l’année pour sensibiliser au moins 80 restaurateurs : « C’est un travail de fourmi, on n’est pas Veolia ! », s’exclame Stéphan Martinez. Mais, quatre mois après son lancement, le compte est y est déjà, mêlant petits bistrots et tables gastronomiques, comme Drouant et Taillevent, gagnant aussi le XVIIe arrondissement, avec le restaurant Caïus, de Jean-Marc Notelet. Fin novembre, date de la fin du projet pilote, la collecte s’est élevée à 580 tonnes. Un réel succès. Il n’empêche. La mairie de Paris a décidé de ne pas renouveler sa participation financière (qui était de 57 000 euros). Préfèrerait-elle investir dans l’incinération plutôt que dans la valorisation des déchets ? Aujourd’hui, près de cinquante professionnels du secteur restent engagés dans cette démarche. Sachant que la capitale compte près de 25 500 restaurants et hôtels, rejetant jusqu’à 70 000 tonnes de déchets organiques par an, sans compter les établissements scolaires, la marge de progression est encore importante. Suffisamment pour faire avancer le schmilblick.

Écologie
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