Branché à l’éclectique

À Los Angeles, Beck reçoit le prix du meilleur album pour Morning Phase. Une récompense méritée pour cet artiste issu des milieux alternatifs.

Pauline Guedj  • 19 février 2015 abonné·es
Branché à l’éclectique
© Photo : Kevork Djansezian/Getty Images/AFP

Ce fut la grande surprise des Grammy Awards. Le chanteur et multi-instrumentiste Beck a remporté le prix du meilleur album de 2014. La récompense a donné lieu à un épisode assez ridicule : avant que Beck ne monte sur scène, le rappeur Kanye West tente de prendre le micro. L’objectif : s’insurger contre la défaite de son amie Beyoncé. Les fans de la chanteuse réagissent. «  Mais qui est donc ce débutant qui bat l’idole  ? » Un journal américain ironise : «  Si vous ne connaissez pas Beck, c’est sûrement que vous avez moins de 25   ans et que vous ne suivez pas la musique alternative.  » La querelle est au ras des pâquerettes, mais retenons l’essentiel : Morning Phase a reçu la récompense qu’il méritait. Beck, qui est loin d’être un débutant, est effectivement un produit des milieux artistiques alternatifs. Son père, le violoniste David Campbell, a travaillé avec Bill Withers et Radiohead. Sa mère, l’actrice Bibbe Hansen, est apparue dans des films d’Andy Warhol et dans Phantom of The Paradise de Brian de Palma. Le grand-père, Al Hansen est aussi une figure incontournable. Artiste plasticien, il fut membre du mouvement Fluxus, qui, dans les années 1960, se revendique de Dada et tente d’abolir les frontières entre les disciplines artistiques. Dérision, sens de l’absurde et jeu avec les styles seront également les marques de fabrique de son petit-fils.

Pour Beck, il y a d’abord un titre, en 1993 : Loser. Le morceau est un canular enregistré chez un ami producteur. Il connaîtra pourtant un immense succès. Dans la foulée, Beck compile Mellow Gold, où alternent des titres électro, rap, punk rock et folk. Le mélange est parfois peu maîtrisé mais il intrigue. Suivront One Foot in The Grave puis Odelay, en 1996, le premier grand disque, réalisé avec les Dust Brothers. Des morceaux entre la country et le hip-hop, des guitares saturées, des samples et le titre le plus jouissif de sa carrière : « Where It’s At ». L’opus suivant, Mutations, porte bien son nom. Beck s’y démontre un excellent songwriter. Les textes sont poétiques, les mélodies léchées, les arrangements sophistiqués. Puis vient Midnite Vultures . Des paroles crues, des cuivres et une tournée où il se prélasse dans un lit sur scène. Exercice de style ? Pas seulement si l’on écoute le deuxième morceau de l’album, « Nicotine and Gravy », qui respire la funk « folkisée ». La parenthèse se referme en 2002. Paraît Sea Change, où Beck évoque une rupture amoureuse. L’album et la tournée acoustique qui suivra restent les plus beaux moments de sa carrière.

Dans les années 2000, les activités de Beck se diversifient. L’artiste continue à publier des albums, Guero, The Information, Modern Guilt, qui contiennent chacun des pépites. Il se lance aussi dans des expériences artistiques sur la toile alliant musique, vidéo et écriture. Sont postées sur son site des reprises d’albums historiques du rock, des compilations où il se fait DJ et des installations/performances, comme cette version filmée de « Sound and Vision » de David Bowie où il est entouré de 160 musiciens, de guitares, de cuivres, d’un chœur gospel et d’un orchestre à cordes. Les années 2000 seront aussi celles de nouvelles collaborations avec Jack White ou Charlotte Gainsbourg, dont Beck produit l’album IRM, sorte d’hommage au père de la chanteuse. Sorti il y a un an, Morning Phase appartient à la veine mélancolique de la musique de Beck. L’album dialogue avec Mutations et Sea Change. Comme toujours, le disque est un opus aux multiples visages. Les superbes arrangements de cordes réalisés par le père de l’artiste cohabitent avec des voix et des sonorités synthétiques. Mais, comme Sea Change avant lui, Morning Phase est aussi un retour sur un état émotionnel, un parcours sonore et sensible dans une étape de la vie. Beck y met merveilleusement en musique l’instant furtif de la régénération, celui où, un matin, on accepte le passé pour repartir à nouveau. Un grand disque. N’en déplaise à Kanye West.

Musique
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