Podemos ne se décrète pas

La percée de ce parti anti-austérité intervient dans un pays à la démocratie vivante quand la nôtre paraît si anémiée que le retour d’un Bernard Tapie y est traité comme un événement.

Denis Sieffert  • 22 décembre 2015 abonné·es
Podemos ne se décrète pas
© Photo: GERARD JULIEN / AFP

Faut-il que la vie politique française soit à ce point malade pour qu’un événement comme celui-là fasse la une des médias. Car, qu’on se le dise, Bernard Tapie « is back ». Et il ne revient pas les mains vides : il possède une arme secrète qui va terrasser à la fois le Front national et le chômage… Pas besoin pourtant d’avoir fait Sciences Po pour apercevoir les grosses ficelles de Nanard. En grande difficulté après avoir été condamné à rembourser à l’État quatre cents millions d’euros, indûment empochés dans l’affaire Crédit lyonnais, notre joueur de poker fait diversion. Et le plus effrayant, c’est que ça marche ! Des journaux télévisés se sont ouverts sur cet événement considérable. Des pleines pages ont retracé l’itinéraire du grand homme, des micros se sont tendus en pagaille pour recueillir sa pensée à nulle autre pareille. Alors que la rodomontade n’aurait pas dû valoir plus qu’un écho ironique.

On peut évidemment voir dans ce non-événement un signe de servilité médiatique. Ce ne sera ni le premier ni le dernier. Mais, plus profondément, on peut aussi l’analyser comme un nouveau symptôme de notre malaise démocratique. Car il n’y a pas que Bernard Tapie qui cherche à faire diversion. Tout semble bon pour dépolitiser le débat économique et social. Tantôt, on fait mine de s’en remettre à la magie Bernard Tapie, et tantôt on mène une ardente campagne en faveur de l’union sacrée contre le chômage. Après l’union contre le terrorisme, puis contre le Front national, voilà que le grand consensus républicain est invoqué sur le terrain social.

Qui « on » ? Certains médias, bien sûr, mais surtout le couple exécutif, Hollande et Valls. Après la débâcle des régionales et un excès de rhétorique sécuritaire, le Premier ministre a compris qu’il n’était peut-être pas inutile de nous reparler de l’emploi. On en reparle donc, mais pour dire quoi ? Que, contre ce fléau, gauche et droite doivent s’unir. On ne compte plus ces jours-ci les articles consacrés à cette urgente nécessité de fusionner les deux hémisphères de notre petite planète. Les échanges de tweets entre MM. Valls et Raffarin font les délices des médias. Jamais, évidemment, on ne s’interroge sur la politique à mettre en œuvre. On sonde l’opinion : « Voulez-vous l’unité de la droite et de la gauche pour combattre le chômage ? ». « Oui, bien sûr ! », répondent les Français.

L’air de rien, un message mortifère pour la démocratie est ainsi délivré. Il est dit sans le dire que gauche de gouvernement et droite, c’est la même chose, et qu’il n’y a de toute façon qu’une seule politique possible. Celle que proposent indifféremment Macron, Raffarin, Juppé, Fillon, et quelques autres. On connaît la recette : pour faire baisser les chiffres du chômage, allons vers plus de précarisation. C’est toujours le travail qui coûte trop cher. Ce sont les charges qui sont trop élevées. C’est la protection sociale qu’il faut briser. Cette évidence n’étant plus un sujet de débat, la politique est réduite à un jeu cynique, dépourvu de contenu. Parle-t-on du chômage ? Non. Nous parlons de positionnement en vue de la présidentielle de 2017.

Par comparaison, la vie politique espagnole est bien revigorante. De vrais débats existent. La démocratie est vivante quand la nôtre paraît si anémiée. L’événement, ici, c’est évidemment la percée de Podemos. Un an après le triomphe électoral de Syriza, en Grèce, un autre parti anti-austérité côtoie les sommets. Pas sûr que la jeune formation de Pablo Iglesias soit en position de gouverner, mais elle s’est d’ores et déjà hissée à hauteur du Parti socialiste. Le rêve de Mélenchon ! Et, justement, qu’est-ce qui fait que le paysage politique français soit à ce point misérable en comparaison de ce qui se passe en Espagne ? La réponse réside en partie dans l’existence de cette nouveauté qui s’appelle Podemos. Mais alors, pourquoi eux et pas nous ? Nous n’avons pas que des raisons d’être envieux.

Si l’Espagne n’a pas de « Front national », c’est qu’elle a encore la mémoire douloureuse de quarante ans de fascisme. Et si Podemos existe, c’est que l’Espagne a subi bien plus cruellement que la France la crise économique de ces huit dernières années. Il y a toujours deux fois plus de chômage là-bas que chez nous. Podemos ne se décrète pas ! C’est un puissant mouvement social qui a donné naissance à cet ovni politique. Rien de tel pour l’instant en France. Quoi qu’il en soit, après l’échec de Syriza, il sera intéressant de voir comment l’habile Pablo Iglesias mène sa barque dans une situation délicate. Mais il y a tout de même une leçon que la gauche française peut apprendre de Podemos : la recherche de nouvelles formes d’organisation, intégrant de façon souple des associations locales dont l’autonomie est respectée. Est-ce possible dans la tradition française ? Est-ce possible dans un système institutionnel verrouillé par la présidentielle ?

Une analyse au cordeau, et toujours pédagogique, des grandes questions internationales et politiques qui font l’actualité.

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