Thomas Jolly : King of metal

Après Henri VI, Thomas Jolly poursuit sa série shakespearienne. Rock et gothique, son Richard III cherche hélas trop à séduire pour y parvenir.

Anaïs Heluin  • 21 janvier 2016 abonné·es
Thomas Jolly : King of metal
© **Richard III**, de William Shakespeare, mise en scène de Thomas Jolly, au Théâtre de l’Odéon à Paris jusqu’au 13 février, puis en tournée. www.theatre-odeon.eu Photo : Brigitte Enguerand

Le corps tordu comme une vieille branche mal redressée par ses tuteurs, Thomas Jolly émerge d’une trappe. Sur son visage fluet, une expression mauvaise. Amère. Celle d’un démon surgissant des profondeurs de la terre – ou du théâtre. Dans son Henri VI qui triomphait à Avignon en 2014, puis dans sa longue tournée nationale, on quittait au terme de dix-huit heures le jeune comédien et metteur en scène de la compagnie Piccola Familia en duc de Gloucester rejeté de tous. Déjà sombre, mais encore discret.

Dès les premières secondes de Richard III, la métamorphose est flagrante. Durant l’ellipse qui sépare les deux pièces de Shakespeare, Thomas Jolly a fait hériter son duc de toute la violence des trente ans de guerre entre la maison royale de York et celle de Lancastre. Il lui a aussi forgé une monstruosité propre. Il incarne donc un être hybride. Une sorte de chimère enfantée par l’histoire autant que par elle-même, d’autant plus forte que tout autour d’elle n’est que désolation.

Divisé en huit épisodes, le Henri VI de la Piccola Familia empruntait déjà aux codes télévisuels et à la culture rock. Pour installer une atmosphère apocalyptique, Thomas Jolly creuse ces deux références dans son Richard III. Un peu trop, hélas. Aux moyens artisanaux – et exhibés comme tels – utilisés dans son premier marathon shakespearien pour représenter les batailles et autres tragiques péripéties, le metteur en scène substitue une haute technologie immersive. Entouré de projecteurs articulés qui éclairent la scène dans un grouillement métallique, d’écrans de surveillance braqués sur un royaume en proie à la terreur et de sons stridents façon techno minimaliste, le personnage de Richard III de Thomas Jolly est entièrement happé par le spectacle qu’il a lui-même créé. Parti pris qui aurait pu fonctionner, si le public n’avait été entraîné de force dans ce déballage high tech au gothique peu subtil. Proche à s’y méprendre de la noirceur bien lissée d’une série comme Game of Thrones. Pas très loin non plus du fantastique adolescent de la Famille Addams.

La monstruosité du personnage central était pourtant prometteuse. Quasimodo bardé de métal, la bosse garnie d’un étrange tas de plumes, Thomas Jolly échappe aux imageries gothiques stéréotypées. Tout en nuances, son jeu épouse pendant les quatre heures trente de la représentation les aspérités de Richard III. Ses déchaînements sanguinaires contre tous ceux qui font obstacle à son ambition – devenir roi d’Angleterre – et ses prouesses de séduction. Si parmi les quatorze comédiens de la distribution certains accompagnent avec talent le monstre dans son ascension suivie d’une chute brutale, d’autres ont tendance à s’égosiller et à surjouer le malheur. Et tous vêtus de noir, le visage parfois grimé de blanc, ils ont l’air tout droit sortis d’un jeu vidéo de l’heroic fantasy. Gildas Paubert a d’ailleurs développé un petit jeu de plateforme à partir des grandes lignes dramaturgiques de la pièce, en ligne sur le site de la compagnie.

Une légère distance par rapport à ces formes de divertissement aurait permis aux comédiens de mieux porter la dimension critique centrale dans Richard III. On aurait aimé moins de soin dans la figuration du laid. Dans la scène de couronnement du roi éponyme, juste avant l’entracte, par exemple. Thomas Jolly y fait culminer la violence exercée jusque-là par son personnage – celui-ci a déjà tué son frère Clarence, ses neveux Edouard et Richard, et réduit à l’impuissance nombre de ses opposants – dans une scène de concert de rock métal où le public est invité à chanter « I’m a dog, I’m a toad, I’m a hedgehog ». Si ce Richard III cherche à dénoncer les mécanismes de séduction médiatiques et politiques, ses armes sont décidément trop proches de ce qu’elles combattent. Cette pièce étant très à la mode depuis quelque temps, on espère retrouver bientôt un Richard III plus convaincant. Chez Jean Lambert-wild, peut-être [^1].

[^1] Directeur du CDN du Limousin, il y crée un Richard III qu’il a lui-même traduit avec Gérald Garutti, du 19 au 29 janvier, qui partira ensuite en tournée.

Culture
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