La République et les étrangers

Face aux discours alarmistes repris ad nauseam sur l’immigration, il est urgent de rappeler que le projet républicain fut, dès l’origine, cosmopolite puis internationaliste.

Mathieu Ferradou  • 1 mai 2019 abonné·es
La République et les étrangers
© photo : L’Américain Thomas Paine fut élu député à la Convention en 1792.crédit : Wikipedia

Le 26 août 1792, jour anniversaire de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen,

Eugène Varlin, « un exemple » Heureuse coïncidence, deux ouvrages importants paraissent ce mois-ci, portant sur le même homme, Eugène Varlin. L’ouvrier relieur est l’une des grandes figures de l’Association internationale des travailleurs. Il y fut l’un des rares à défendre le droit des femmes à travailler. Élu de la Commune de Paris, défenseur de l’une des dernières barricades lors de la Semaine sanglante, il sera fusillé le 28 mai 1871, à 32 ans. Ses nombreux écrits (lettres, proclamations) sont désormais rassemblés, présentés par Michèle Audin, aux éditions Libertalia. Mais, pour celui dont Lissagaray disait que « toute sa vie est un exemple », il fallait un sacré biographe. C’est chose faite avec Jacques Rougerie, le premier et sans doute le plus grand historien de la Commune. Deux livres qui nous font redécouvrir ce défenseur acharné de la justice sociale et nous plongent dans les mois de la Commune et au cœur du monde ouvrier. Laurence De Cock et Mathilde Larrère
l’Assemblée nationale vote un décret qui accorde la citoyenneté française à dix-huit étrangers, « considérant que les hommes qui, par leurs écrits et par leur courage, ont servi la cause de la liberté et préparé l’affranchissement des peuples ne peuvent être regardés comme étrangers par une nation que ses lumières et son courage ont rendue libre ». Alors que la France lutte contre les armées coalisées de quasiment toute l’Europe, elle montre ainsi que le projet républicain, en cours d’élaboration, est un projet universaliste et humaniste d’émancipation de l’ensemble du genre humain. Les dix-huit étrangers recevant la citoyenneté française – Anglais, Écossais et Gallois, Américains, Italiens, Suisses, Allemands, Hollandais et Polonais – ont des points communs : plusieurs sont antiesclavagistes et tous défendent l’émancipation des peuples.

Lors des élections qui suivent – les premières tenues en France au quasi-suffrage universel masculin – afin d’élire une Convention chargée de déterminer quel sera le futur régime politique de la France, plusieurs départements choisissent ces étrangers pour les y représenter. Ainsi Thomas Paine, un Anglais ayant émigré en Amérique, où il est devenu un « père fondateur » de la République américaine, mais aussi le Prussien Anacharsis Cloots, défenseur de la « République universelle », sont-ils élus députés à la Convention.

Ce premier moment cosmopolite n’est pas une lubie passagère pour les « pères fondateurs » de la République française : la Convention, après avoir fait entrer la France en république les 21, 22 et 25 septembre 1792, accorde la citoyenneté à cinq autres Anglais le 25 septembre. En réalité, ce moment particulier où la République est fondée en France montre à quel point l’idée républicaine est indissociable de l’idée de l’émancipation de tous les peuples, de la promesse universaliste qu’elle recèle. D’aucuns pensent qu’elle fut brève et qu’elle disparut sous la Terreur avec le Comité de salut public. Il n’en est rien : la Constitution de 1793, votée par une Convention montagnarde, stipule dans son article 4 que « tout étranger âgé de vingt et un ans accomplis qui, domicilié en France depuis une année, y vit de son travail, ou acquiert une propriété, ou épouse une Française, ou adopte un enfant, ou nourrit un vieillard ; tout étranger, enfin, qui sera jugé par le Corps législatif avoir bien mérité de l’humanité, est admis à l’exercice des Droits de citoyen français ». Est français, donc, celui qui s’engage dans la société française, qui y participe (notamment en y payant ses impôts). Or, si la Constitution ne fut pas appliquée, du fait de la guerre, les exemples pratiques de la mise en application de cet article ne manquent pas dans les archives. La Révolution pose alors les premiers jalons d’un internationalisme républicain.

Tout ceci nous rappelle que la Révolution française définit la citoyenneté comme étant fondamentalement politique : c’est la citoyenneté qui fait la nationalité, et non l’inverse. Ce n’est qu’avec le tournant impérialiste, esclavagiste et autoritaire bonapartiste que cette conception politique de la citoyenneté/nationalité disparaît pour être remplacée par une prédominance du « sang », à laquelle la notion de « sol » viendra s’ajouter sous la IIIe République. Mais aucun de ces deux modes d’attribution de la nationalité n’est fidèle au fondement de la République, puisqu’ils considèrent qu’il faut d’abord être français avant d’être citoyen. En 1792, c’était l’inverse. Il est grand temps de (re) devenir républicain !

Mathieu Ferradou Enseignant au lycée Jean-Monnet de Mortagne-au-Perche, doctorant à l’Institut d’histoire de la Révolution française

Idées
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