Un manifestant puni pour refus de donner le code d’un téléphone… inexistant

Quatre enseignants, arrêtés jeudi 13 avril pour une simple banderole brandie devant le Conseil constitutionnel, ont reçu un avertissement pénal probatoire. Seule infraction reprochée : le refus de donner leur code de téléphone. Or l’un d’entre eux n’en avait pas sur lui.

Nadia Sweeny  • 17 avril 2023
Partager :
Un manifestant puni pour refus de donner le code d’un téléphone… inexistant
Des gendarmes devant le Conseil constitutionnel, le 14 avril 2023, à Paris.
© Lily Chavance

L’histoire est ubuesque et illustre les dérives répressives en cours. Jeudi 13 avril au matin, quatre enseignants se rendent devant le Conseil constitutionnel, quelques heures avant le début de la 12e journée de manifestation intersyndicale contre la réforme des retraites. Là, ils sortent une banderole sur laquelle on peut lire « Retraite à la poubelle, censure du Conseil constitutionnel ».

Au moment où la police arrive, « on s’est dispersés sans attendre et on a marché tranquillement pour rejoindre des amis dans un café voisin », témoignent les compères. Plusieurs mètres plus loin, ils sont contrôlés par la police.

Sur le même sujet : Manifestations : le malaise judiciaire

« L’une de nous portait un chasuble Solidaires, je pense que c’est pour ça qu’ils nous ont contrôlés, analyse Marc, mais nous, on n’a rien fait d’illégal. On s’est dit que ça n’irait pas plus loin. ». Les quatre présentent leurs cartes d’identité et attendent qu’un des policiers – visiblement faisant partie de la Brav-M – ait passé plusieurs coups de fils. « Il nous a dit : ‘Y’a manif cet après-midi, vous aviez vraiment besoin de sortir votre banderole ce matin ?’ » se souvient Charlotte.  

Le policier raccroche et ordonne le placement en garde à vue des quatre enseignants. Motif : « organisation de manifestation non déclarée ». Les professeurs, surpris, sont emmenés au commissariat du troisième arrondissement de Paris. Là, les charges évoluent : « attroupements, entrave à la liberté de circuler et intimidation à l’égard des magistrats ».

« Si vous donnez votre code de téléphone, vous sortez. »

Après la prise d’empreintes, les pressions et les facéties autour de l’impossibilité de prendre tel ou tel avocat – dont témoignent quasiment systématiquement les personnes placées en garde à vue dans le cadre du mouvement social –, les policiers exigent les codes de téléphone pour regarder le contenu.

« Si vous donnez votre code de téléphone, vous sortez », marchandent-ils. Tous refusent. Plutôt, trois d’entre eux le font : Marc n’a pas de téléphone portable sur lui. « Je l’avais oublié en partant de chez moi ce matin-là ». Impossible de lui demander les codes d’un outil que le policier n’a pas en main.

Menottes aux poignets, Marc est déféré dans la journée, avec les autres, au tribunal judiciaire de Paris. Après une nuit en geôle, il se voit notifier le même avertissement pénal probatoire (APP) – qui remplace désormais le rappel à la loi – que ses compères. On y lit : « L’enquête a démontré votre implication dans la ou les infractions pénales suivantes : refus de remettre aux autorités judiciaires ou de mettre en œuvre la convention secrète de chiffrement d’un moyen de cryptologie à Paris le 13 avril 2023 ».

Aucun recours possible

C’est l’unique infraction finalement reprochée au groupe. Et pour parfaire l’absurdité de la situation, le document précise – c’est obligatoire pour un APP : « Vous avez reconnu votre culpabilité. »

Non seulement le parquet de Paris exige de Marc et de ses amis qu’ils versent 400 euros à une association d’aide aux victimes mais leur demande, en plus, de « se dessaisir au profit de l’État du produit de l’infraction : téléphone portable ». Or pour Marc, ce produit de l’infraction est inexistant.

Ce dernier, comme les trois autres, a refusé de signer ce document mais il n’existe aucun recours possible contre cette mesure. Contacté, le parquet de Paris n’a pour le moment pas répondu à notre sollicitation.

Recevez Politis chez vous chaque semaine !
Abonnez-vous
Soutenez Politis, faites un don.

Chaque jour, Politis donne une voix à celles et ceux qui ne l’ont pas, pour favoriser des prises de conscience politiques et le débat d’idées, par ses enquêtes, reportages et analyses. Parce que chez Politis, on pense que l’émancipation de chacun·e et la vitalité de notre démocratie dépendent (aussi) d’une information libre et indépendante.

Faire Un Don

Pour aller plus loin…

Suspension des évacuations de Gaza : les ministères incapables de se justifier
Reportage 6 octobre 2025 abonné·es

Suspension des évacuations de Gaza : les ministères incapables de se justifier

Devant le Conseil d’État, les ministères des Affaires étrangères et de l’Intérieur ont pataugé dans la mauvaise foi pour justifier la suspension des évacuations de Palestinien·nes vers la France. Une décision prise après une polémique lancée par l’extrême droite.
Par Pauline Migevant
« La violence est un attribut politique constant de l’extrême droite »
Entretien 30 septembre 2025 abonné·es

« La violence est un attribut politique constant de l’extrême droite »

À l’occasion du délibéré du procès des membres de l’Action des forces opérationnelles (AFO), groupuscule qui prévoyait des attentats contre les musulmans, les chercheurs Baptiste Roger-Lacan et Emmanuel Casajus reviennent sur le rapport historique de l’extrême droite à la violence.
Par Pauline Migevant
Terrorisme d’extrême droite : 9 membres d’AFO condamnés à de la prison ferme
Reportage 30 septembre 2025

Terrorisme d’extrême droite : 9 membres d’AFO condamnés à de la prison ferme

12 membres du groupe d’extrême droite islamophobe Action des forces opérationnelles (AFO) ont été reconnus coupables « d’association de malfaiteurs terroriste ». La peine maximale est de 2 ans de prison ferme, sous forme de détention à domicile avec bracelet électronique.
Par Pauline Migevant
Sarkozy condamné : « Il y a eu une atteinte à l’ordre public démocratique »
La Midinale 26 septembre 2025

Sarkozy condamné : « Il y a eu une atteinte à l’ordre public démocratique »

Évelyne Sire-Marin, magistrate honoraire et vice-présidente de la Ligue des droits de l’Homme, est l’invitée de « La Midinale ».
Par Pablo Pillaud-Vivien