Le thermomètre est cassé

Si le ministère du Travail ne s’est pas vanté de la baisse des accidents du travail et des maladies professionnelles, c’est qu’elle est artificielle.

Thomas Coutrot  • 21 février 2024
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Le thermomètre est cassé
Un ouvrier à la station Saint-Denis Pleyel, à Saint-Denis, le 5 février 2021, station qui accueillera trois lignes de métro (13, 14 et 15) et desservira le futur village olympique pour les JO de Paris 2024.
© Ludovic MARIN / AFP

Le gouvernement s’est bien gardé de s’en vanter. Pourtant, en décembre dernier, le régime général accidents du travail – maladies professionnelles a publié des statistiques (1) réjouissantes, avec une forte baisse des accidents du travail (– 6,7 %) et des maladies professionnelles reconnues (– 6,4 %) entre 2021 et 2022. Et ce alors que, après la chute de près de 20 % des accidents du travail liée aux confinements de 2020, le rattrapage partiel (+14 %) en 2021 laissait prévoir un nouveau rattrapage (de 4 ou 5 %) en 2022.

Si le ministère du Travail ne s’est pas vanté de ce bon chiffre, c’est parce qu’il y a un loup. Premier indice, le nombre d’accidents mortels reconnus par le régime général n’a pas diminué, bien au contraire : il passe de 645 en 2021 à 738 en 2022 (+ 14 %), retrouvant le niveau de 2019. Mais c’est l’Assurance-maladie qui le reconnaît elle-même, de façon assez contournée, dans son rapport (2) : la baisse des accidents et des maladies professionnelles est artificielle, et les statistiques devront être révisées.

2

« Les évolutions constatées sont trop marquées, synchrones et généralisées sur les trois risques (accidents du travail, accidents de trajet, maladies professionnelles) pour être expliquées par des évolutions favorables “naturelles” de la sinistralité. » (p. 100).

D’après diverses sources proches du dossier, l’explication est à chercher du côté d’une complexification bureaucratique de la procédure que doivent suivre les médecins pour transmettre à la Sécurité sociale les documents nécessaires : le certificat d’arrêt maladie et celui ouvrant la procédure de reconnaissance du caractère professionnel de l’accident ou de la maladie ont été dédoublés, alors qu’un seul formulaire suffisait auparavant.

Deux preuves en attestent : l’effondrement des reconnaissances par la Sécurité sociale s’observe seulement à partir de juin, date de mise en œuvre de la nouvelle procédure ; alors que globalement, le nombre d’accidents du travail déclarés par les employeurs (avant leur reconnaissance officielle), loin de reculer, a plutôt augmenté en 2022.

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Cela n’a rien d’anecdotique, s’agissant de l’hécatombe au travail (3) qui caractérise notre pays dans la plus grande indifférence des pouvoirs publics. Ce « bug » bureaucratique – dont il est difficile de croire qu’il n’ait pu être anticipé – n’est qu’une traduction de plus de cette indifférence. Il a déjà privé des dizaines de milliers de victimes de la reconnaissance de leur pathologie ou de leur accident, sans qu’on sache à ce stade si un rattrapage de ce déni de droits va être organisé.

3

« Les morts au travail, une hécatombe silencieuse en France », Jules Thomas, Le Monde, 6 février 2024.

Les ordonnances Macron de 2017 ont supprimé des instances (délégués du personnel et comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail) qui faisaient remonter les problèmes du travail aux managers, aggravant ainsi la méconnaissance du travail réel par les directions. Les salarié·es en payent sans doute aujourd’hui le prix, mais le thermomètre statistique est cassé…

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