Sarkozy révisionniste

Michel Soudais  • 4 février 2007
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Nicolas Sarkozy est un séducteur éhonté. Chacun a pu en juger ces derniers jours. Après s’être ému du sort des ouvriers, le 25 janvier à Saint-Quentin (Aisne), le fils naturel de Jacques Chirac (pour la démagogie) et d’Edouard Balladur (pour le libéralisme) s’est employé à séduire les enseignants, vendredi dernier, lors d’un meeting à Maisons-Alfort (Val-de-Marne). Tout a été dit dans la presse du lendemain sur cette indécente entreprise d’hypnose à destination d’une profession que les gouvernements UMP ont maltraitée depuis cinq ans.

Mais les différents comptes-rendus et commentaires que nous avons pu consulter restent muets sur un aspect dérangeant de son discours. Très libéral en économie, Nicolas Sarkozy prend aussi de grandes libertés avec la vérité historique . Volonté délibérée ou ignorance? On ne sait.

Ignorant, le ministre-candidat l’est parfois. On se souvient d’une de ses fulgurantes approximations, lors de son déplacement au Mont-Saint-Michel, le 15 janvier: «Il y a quelques années , y a-t-il déclaré, François Mitterrand dans une réplique superbe avait dit : « Vous n’avez pas le monopole du coeur. »» Ce jour-là, l’apprenti-président méritait un zéro pointé. Les RG avait sans doute oublié de lui indiquer dans une fiche que c’est Valéry Giscard d’Estaing qui avait eu cette répartie face à François Mitterrand, lors du débat de l’entre-deux tours, en 1974.

Mais l’ignorance ne peut être invoquée quand elle se répète: depuis son lancement de campagne, le 14 janvier, Nicolas Sarkozy n’a de cesse d’annexer Jean Jaurès et Léon Blum dans chaque discours qu’il prononce. La ficelle est aussi grosse qu’un bout d’amarrage. Si bien que pour donner quelque crédit à son tour de passe-passe, Nicolas Sarkozy en est réduit à nier des réalités historiques bien établies .

Vendredi, à Maisons-Alfort, l’ancien maire de Neuilly a ainsi opposé la gauche de Jaurès et de Blum à celle de Jospin et Royal:
«La vraie gauche, la gauche de Blum, la gauche de Jaurès, parlait des travailleurs, parce qu’elle respecte le travail.» Alors que la gauche de l’ancien Premier ministre socialiste Lionel Jospin et de la candidate du PS Ségolène Royal, «elle, parle des statuts, elle fait les 35 heures, parce qu’elle ne comprend rien au travail» .

Pauvre Jaurès! Et surtout pauvre Léon Blum!

La vérité historique oblige à rappeler à Nicolas Sarkozy, comme à tous ses supporters, qu’il envisage désormais d’organiser en «équipes» que la droite s’est toujours déchaînée contre la réduction du temps de travail . Ce fut le cas en 1936 contre les 40 heures. L’offensive avait alors culminé sous Vichy qui voulait tellement revaloriser le travail que son régime l’avait inscrit dans la devise de son Etat. Pétain ne déclarait-il pas le 11 juillet 1940: « Le travail des Français est la ressource suprême de la Patrie. Il doit être sacré » ?

Nicolas Sarkozy devrait relire ce que le président du Conseil du Front populaire déclarait en 1942, lors du procès de Riom, que lui avait intenté le gouvernement de Pétain, notamment pour avoir réduit le temps de travail : « La loi des 40 heures combinée avec l’instauration d’un sous-secrétariat d’Etat aux loisirs, était à la base d’une charge imaginée contre moi. On me reprochait d’avoir fait perdre le goût du travail aux ouvriers français et d’avoir encouragé chez eux ce que des personnages officiels ont appelé l’esprit de jouissance et de facilité. »

En se revendiquant de Léon Blum, Nicolas Sarkozy, héritier de ceux qui fustigeaient «les salopards en casquette» qui envahissaient leurs plages, fait preuve d’un sacré culot.

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