Les vaisseaux brûlés de Bayrou

Michel Soudais  • 19 avril 2007
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François Bayrou n’a qu’un objectif: gagner. Le président de l’UDF l’a redit, fortement, hier soir dans un Palais omnisport de Bercy plein à craquer de ses supporters. Il ne veut pas se contenter de «faire un score» . Il veut «arracher le pouvoir» aux deux «forteresses» PS et UMP et à leurs «dignitaires (…) affairés à défendre leur monopole et leurs privilèges» . Mais s’il ne parvient pas à franchir le premier tour?
Quelle consigne donnera-t-il à ses électeurs?

A cette question, François Bayrou refuse évidemment de répondre. Et le journaliste politique en est réduit à jouer les oracles. Ce à quoi je me risque volontiers après avoir écouté attentivement le discours distillé, hier soir, par le Béarnais à ses troupes.

De cette observation je note que le candidat de l’UDF s’est montré plus virulent à l’encontre de Nicolas Sarkozy que de Ségolène Royal . Citant le président de l’UMP qui déclarait dans un entretien François Bayrou est à gauche, il s’est montré cinglant: «On sent qu’en prononçant cette phrase, il y a chez lui comme une vraie insulte. C’est presque comme s’il avait dit que j’étais un immigré, ou que j’égorge des moutons dans ma baignoire ou que je suis un pervers génétique.»

Pour faire bonne mesure, il s’en est pris ensuite à Lionel Jospin qui «du haut de son expérience et de ses succès» , a déclaré mardi: «François Bayrou est à droite.» On sent chez lui* , a ironisé le candidat de l’UDF, *que c’est presque comme s’il disait que je suis un trotskiste déviationniste.

Poursuivant dans son balancement ni droite, ni gauche, François Bayrou s’est exclamé: «Quel plaisir de ne pas recevoir le label de la droite à la mode de Sarkozy! C’est le contraire de ce que j’ai cru et que j’ai voulu toute ma vie. Et qu’est-ce que je suis heureux de ne pas recevoir le label de la gauche à la mode Jospin! Parce que la gauche de Jospin, c’est le contraire de ce que j’ai cru et que j’ai voulu toute ma vie.»

Et alors?, me direz-vous, il rejette la droite et la gauche; il n’a pas changé de posture. Oui mais… cette symétrie rhétorique est une fausse symétrie. Sarkozy est candidat, Jospin non. Et cela change beaucoup de choses . Car en tapant sur «la gauche de Jospin» , Bayrou prend ses distances avec une gauche qui était aux commandes de l’Etat en 1997-2002, une gauche passée, qui n’existe plus. Une gauche, qui plus est, qui était hostile à la candidature de Ségolène Royal. Alors qu’en se démarquant radicalement de «la droite à la mode Sarkozy» , c’est le projet de son concurrent qu’il rejette, la droite actuelle avec laquelle il ne veut plus être associé.

Les mots prononcés contre l’ancien maire de Neuilly-sur-Seine pèseront lourds dans l’entre-deux tours. Comment imaginer que Bayrou puisse appeler ses ouailles à reporter leurs voix sur un type qui incarne une droite si «contraire» à ce qu’il a «cru et voulu toute sa vie» ? Un candidat dans le programme duquel il dit aussi «retrouver des idées du Front national» ? Sauf à se renier François Bayrou n’appellera pas à voter Sarkozy , dans le cas où celui-ci serait opposé à Ségolène Royal. Ce qui ne signifie pas forcément qu’il appellera à voter pour la président de la région Poitou-Charente en des termes clairs. Bien des formules rhétoriques sont imaginables… Mais, hier, à Bercy, François Bayrou a définitivement brûlé les vaisseaux qui auraient pu le ramener, lundi, à son ancien port d’attache .
Reste à voir si ses partisans le suivront. Beaucoup cogèrent avec l’UMP des villes, des départements, des régions. Et l’on n’a pas vu jusqu’ici qu’ils s’en trouvaient mal.

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