Besancenot s’écarte pour que le NPA soit, enfin, nouveau

Michel Soudais  • 5 mai 2011
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Besancenot s’écarte pour que le NPA soit, enfin, nouveau

Le facteur ne se présentera pas trois fois. Dans une lettre adressée aux militants du Nouveau parti anticapitaliste, Olivier Besancenot confirme qu’il ne sera pas leur candidat à l’élection présidentielle de 2012. L’information a été connue à la mi-journée sur Twitter, Mediapart et Bellaciao.

Olivier Besancenot, à Montreuil, en septembre 2010.

Après avoir été le candidat de la LCR à deux reprises , en 2002 (4,25%) et 2007 (4,08%), Olivier Besancenot avait indiqué de longue date qu’il ne comptait «pas prendre un abonnement à l’élection présidentielle» et n’aspirait «pas à en être l’éternel candidat d’extrême gauche» , comme a pu l’être Arlette Laguiller, sextuple candidate à la présidentielle. Sa lettre (intégralement reproduite dans l’encadré ci-dessous) officialise cette «décision politique» , confirmée hier au comité exécutif du NPA. Après le premier congrès de cette organisation, lancée en 2009, Olivier Besancenot avait déjà montré son désir de «renouvellement» en refusant de briguer à nouveau le porte-parolat. Le 27 mars, le comité politique national issu du congrès avait désigné deux porte-parole pour le remplacer: Myriam Martin, enseignante en lycée professionnel, et Christine Poupin, technicienne dans l’industrie chimique.

Myriam Martin et Christine Poupin

Ce refus d’être une troisième fois candidat n’est pas pour autant un retrait de la vie politique. Il n’annonce pas non plus que le NPA renoncerait à présenter un candidat en 2012. Olivier Besancenot «ne renonce pas à [s’] impliquer, bien au contraire, écrit-il, dans tous [les] combats» de son parti. «Je suis prêt, dès à présent, à m’investir à 100 % pour que notre parti, le NPA, puisse effectivement se présenter à la prochaine présidentielle et à épauler de mon mieux notre candidat(e) durant la campagne» , poursuit-il en suggérant à son organisation de continuer de surprendre en présentant un anonyme. «Nous avons su créer la surprise lorsque la LCR a eu l’audace de présenter un jeune travailleur, un postier, à l’élection présidentielle de 2002» , rappelle-t-il.

Testament politique et constat d’échec

Si le retrait d’Olivier Besancenot de la course élyséenne paraît pour l’heure dégager la route du futur candidat du Front de gauche[^2] en le délestant d’une concurrence sérieuse, son courrier, qui fait un peu figure de testament politique, ne plaide pas pour un apaisement des relations entre les formations de la gauche radicale et le NPA qui, est-il souligné, n’envisage «pas l’activité politique comme les autres partis» . Celles-ci sont assez explicitement accusées de faire partie du «système» et de s’en remettre à des «politiciens pour (…) exprimer, comprendre et proposer» au nom du peuple.
Alors même qu’elles conviennent toutes, avec parfois des mots différents, qu’il ne pourra pas y avoir de «rupture avec le système actuel» sans «une implication populaire croissante dans la vie politique» , Olivier Besancenot réaffirme plus fortement que jamais, puisqu’il met son retrait dans la balance, que l’irruption des classes populaires sur la scène politique ne peut se faire que par la mise en œuvre d’une ligne radicalement basiste, avec présentation d’ «anonymes» à toutes les échéances électorales. La relance de cette illusion, qui se réclame historiquement de la Commune de Paris ainsi que l’indique l’extrait de l’Appel de la Garde nationale mis en exergue de sa lettre, risque de plomber l’unité nécessaire de la gauche de transformation sociale et écologique, tant elle séduit les militants de cette dernière, convaincus que Monsieur Toutlemonde a des choses à dire[^3].

Cette lettre dresse aussi, n’en déplaise, un double constat d’échec relatif pour qui cherche à lire entre les lignes d’Olivier Besancenot.
– Celui d’abord de la difficulté à mettre en pratique cette ligne basiste: «Le fait de mener une activité professionnelle à la Poste – activité que je n’ai jamais lâchée – n’est pas, sur le long terme, un sérum assez puissant pour contrecarrer la dynamique consensuelle qu’impose la joute électorale et médiatique à répétition , écrit-il. Le jeune travailleur parti à l’assaut de la politique en 2002 est inéluctablement devenu, en 2007, celui qui « fait de la politique tout en continuant à travailler » et probablement quelqu’un qui « fait de la politique tout court » en 2012.»
– Celui ensuite du relatif échec du projet fondateur du NPA: Si Olivier Besancenot rappelle dans sa missive qu’il «fait partie de ceux» qui, «depuis de nombreux mois, (…) mettent en garde notre

Olivier Besancenot, le 23 août 2009, à Port-Leucate.

parti contre les risques politiques de la personnalisation à outrance» , c’est que la nouvelle formation, dont il avait souhaité la création au lendemain de l’élection présidentielle de 2007, n’a pas toujours su s’en prémunir. C’est le cas quand il laisse entendre que certains de ses camarades voulaient « jouer la sécurité » et, pire, étaient prêts à succomber «à des instincts « conservateurs » pernicieux» en voulant qu’il se représente en 2012. Aussi quand pour accroître son audience, sa formation a joué avec lui des «ambiguïtés du système politique et médiatique» , dont il pointe aujourd’hui qu’elle ne peuvent «se substituer à l’action militante réelle au sein de la lutte de classe» . Cela a certes permis que de nouveaux adhérents rejoignent le NPA, parce que c’était «le parti d’Olivier Besancenot». Mais en août 2009, celui-ci avait déjà reconnu dans son traditionnel discours prononcé à l’université d’été de Port-Leucate le revers de cet engouement; la jeune formation devait faire face à « des problèmes de constance militante et des problèmes de conscience politique » .
En restant à sa tête, même comme candidat et non plus comme porte-parole, Olivier Besancenot en serait resté, quoi qu’il fasse, le symbole et le leader de fait.
En se retirant, il donne une chance au NPA de «se déployer sur des bases plus conscientes et plus constantes» . La possibilité d’être, enfin, «nouveau». Et d’être tout à fait le parti des anonymes.


[^2]: Jean-Luc Mélenchon est le plus probable.

[^3]: Pour témoigner, peut-être. Pour être élu et/ou construire un mouvement politique à vocation majoritaire, c’est beaucoup moins probable.

Lettre d’Olivier Besancenot

*« Ne perdez pas de vue que les hommes qui vous serviront le mieux sont ceux que vous choisirez parmi vous, vivant votre propre vie, souffrant des mêmes maux.

Défiez vous autant des ambitieux que des parvenus ; les uns comme les autres ne consultent que leur propre intérêt et finissent toujours par se considérer comme indispensables…

Portez vos préférences sur ceux qui ne brigueront pas vos suffrages ; le véritable mérite est modeste et c’est aux électeurs à connaître leurs hommes, et non à ceux-ci de se présenter. »*

Appel du comité central de la Garde nationale de la Commune de Paris, le 25 mars 1871.

Camarades,

Je ne serai pas le candidat du Nouveau parti anticapitaliste à l’élection présidentielle de 2012. Il s’agit d’une décision politique que j’assume. Et si je souhaite aujourd’hui passer le relais à un(e) de nos camarades, je ne renonce pas à m’impliquer, bien au contraire, dans tous nos combats. Je revendique plutôt la possibilité, pour le NPA, de se lancer sur de nouvelles bases, conformes au projet d’émancipation qui, plus que jamais, m’anime.

Tout d’abord, je voudrais profiter de cette lettre pour remercier toutes celles et tous ceux qui, au NPA – à la LCR auparavant –, ont participé activement au travail collectif qu’a nécessité le porte-parolat que j’ai assuré ces dix dernières années. À tous les camarades des sections locales qui ont collé des affiches, distribué des tracts, organisé les meetings (et qui, toujours, nous ont accueillis chez eux à bras ouverts), aux chasseurs de signatures en 2002, puis en 2007, ainsi qu’aux camarades de la direction qui ont planché sur les argumentaires, l’orientation, la communication, la protection, à tous j’aimerais vous dire merci. Ce travail d’équipe m’a appris et apporté énormément tout au long de cette drôle d’expérience militante qu’est le porte-parolat.

J’ai essayé, pour ma part, de mouiller la chemise sans compter pour faire connaître à un public large nos idées et nos convictions. Et cette chemise, je compte bien la mouiller encore demain pour porter notre programme, notre action et notre voix. Les militants du NPA et, plus généralement, toutes celles et tous ceux qui se battent pour changer le monde pourront compter sur mon engagement.

Il s’agit d’une décision politique assumée, donc, et sans grande surprise. Il y a quelques années déjà, j’avais clairement prévenu que je ne comptais pas prendre un abonnement à l’élection présidentielle, parce que je n’aspirais pas à en être l’éternel candidat d’extrême gauche. Depuis de nombreux mois, je fais aussi partie de ceux qui mettent en garde notre parti contre les risques politiques de la personnalisation à outrance. Que les idées s’incarnent ponctuellement dans un contexte social et politique déterminé, ou qu’il faille déléguer la tâche militante de la représentation publique, par un mandat précis et limité dans le temps, est une chose. Jouer des ambiguïtés du système politique et médiatique pour se substituer à l’action militante réelle au sein de la lutte de classe, en est une autre.

Nous militons quotidiennement, dans nos entreprises, dans les luttes, au moment des élections, pour défendre la perspective d’une société enfin débarrassée de l’aliénation, de l’exploitation et de l’oppression. L’affranchissement vis-à-vis des servitudes contemporaines implique obligatoirement une rupture avec le système actuel. Cette rupture présuppose une implication populaire croissante dans la vie politique. Autant que faire se peut, cette rupture doit intervenir ici et maintenant, sans la remettre à demain et à ses bouillonnements révolutionnaires prometteurs.

Cela signifie qu’ici et maintenant, nous appelons, sans relâche et en conscience, tous les anonymes à s’approprier leur destinée. Voilà pourquoi nous exaltons systématiquement les classes populaires à faire irruption sur la scène politique en brisant les enceintes dressées par les politiciens dans le but de nous tenir à distance de l’arène, là où se jouent nos vies. Partout où nous intervenons, nous portons ce message original et subversif : dans les quartiers populaires, les entreprises, les lycées, les facs, sur les marchés, dans les manifs, pendant les élections. Ce message tout terrain qui est la marque de fabrique de notre parti, nous ne devons pas le ternir au nom d’un quelconque « réflexe » électoral.

Nous avons su créer la surprise lorsque la LCR a eu l’audace de présenter un jeune travailleur, un postier, à l’élection présidentielle de 2002. Continuons de surprendre en présentant aujourd’hui d’autres anonymes lors de ces échéances ; cela soulignera d’autant ce que nous sommes réellement : un outil collectif et hétéroclite. S’efforcer de perpétuer la démonstration selon laquelle nous n’avons pas besoin des politiciens pour nous exprimer, comprendre et proposer, est un acte progressiste. Se rassurer en pensant « jouer la sécurité » serait céder, au contraire, à des instincts « conservateurs » pernicieux qu’il faut laisser aux autres. Or, nous n’envisageons pas l’activité politique comme les autres partis.

Ce serait aussi, à mes yeux, une contradiction intenable : nous dénonçons un système où la politique est devenue une valeur marchande d’un côté, et de l’autre, nous commencerions involontairement à nous intégrer dans le décor politique traditionnel en incrustant notre mouvement et nos idées dans la case « candidat rituel à l’élection présidentielle » de notre téléviseur. C’est risquer, à terme, de nous transformer en caricature de nous-mêmes, voire en alibi du système.

Comme à chacun d’entre vous, cette vision m’est personnellement insupportable. Je ne veux pas avoir le sentiment de faire partie du personnel politique traditionnel aux yeux du large public, qu’à notre mesure nous influençons depuis quelques années. Le fait de mener une activité professionnelle à la Poste – activité que je n’ai jamais lâchée – n’est pas, sur le long terme, un sérum assez puissant pour contrecarrer la dynamique consensuelle qu’impose la joute électorale et médiatique à répétition. Le jeune travailleur parti à l’assaut de la politique en 2002 est inéluctablement devenu, en 2007, celui qui « fait de la politique tout en continuant à travailler » et probablement quelqu’un qui « fait de la politique tout court » en 2012. Militant je suis, militant je veux rester. Me libérer de cette contradiction est la meilleure garantie, pour moi, de continuer à porter le combat du NPA sur la scène publique, mais différemment.

Aussi je vous demande d’être solidaires de ce choix, en le comprenant comme la volonté que le NPA puisse enfin se retrouver. Se retrouver non pas sur un nom familier mais sur une identité collectivement réappropriée. Qu’il puisse se déployer sur des bases plus conscientes et plus constantes. Plus conscientes de la nécessité de porter un projet révolutionnaire, internationaliste, vivant et ouvert, qui le maintienne à distance du système actuel. Plus constantes dans son action globale au quotidien, en intervenant sans relâche dans les entreprises, les quartiers, la jeunesse et en animant activement les réseaux de résistance du mouvement social – syndical, antiraciste, écologiste, féministe…

L’élection présidentielle aura lieu dans un an. Cela nous laisse le temps de la préparer et faire de 2012 une étape majeure dans cette refondation.

Je suis prêt, dès à présent, à m’investir à 100 % pour que notre parti, le NPA, puisse effectivement se présenter à la prochaine présidentielle et à épauler de mon mieux notre candidat(e) durant la campagne. Car il faut continuer à nous adresser à des millions de personnes et ne pas se refermer en vase clos. Les moments de reflux que le mouvement ouvrier traverse en France ne doivent pas masquer le caractère instable de la situation politique liée à la crise globale que traverse le capitalisme depuis trois années.

Les révolutions arabes le prouvent : les vents de l’histoire sont changeants et peuvent tourner rapidement.

Olivier

Temps de lecture : 5 minutes
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